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paysages, la pierre et la verdure. Il en aime l’esprit, la plaisanterie dans le courage ; et il sait que, s’il plaisante, il est de mèche avec Paris. Premiers jours de janvier 1915 ; la neuvaine de Sainte-Geneviève : « La place du Panthéon offre d’étranges disparates. Un dôme, des colonnades, des torchères de bronze, de vastes étendues. C’est l’endroit le plus solennel et le plus romain de Paris, un Piranèse sans soleil, balayé par le vent. Tout à coup, elle s’achève en quartier provincial : une église posée de guingois, une tour gothique, les ogives d’un couvent, quelques vieilles masures composent pour l’aquafortiste un décor de petite ville dévote... » L’automne précédent, lorsque Paris était silencieux et désert : « J’ai vu un chat assis, au milieu de la chaussée, en pleine rue Richelieu, à trois heures de l’après-midi. La patte gauche dressée comme une antenne, il lissait les poils de ses cuisses avec sa langue râpeuse, aussi tranquille qu’au fond d’un cabinet de toilette. Effet bien mince de la guerre. Pourtant, c’est la première fois, depuis le cardinal, qu’on aura vu ce tableau dans la rue Richelieu à trois heures de l’après-midi. » Ne croirait-on, — je ne dis pas, lire une description parfaite, — mais voir, au musée Carnavalet, quelqu’une de ces jolies estampes d’autrefois, très pittoresques et d’un style accompli, et qui sont de précieux documens, et qui sont, avec une amusante simplicité, de menus chefs-d’œuvre par la justesse et le goût ?


Il y a des croquis de Paris, dans le nouveau livre de M. Pierre Loti, Quelques aspects du vertige mondial ; deux seulement : et l’un, terrible, scène d’hôpital, un soldat qui ne sait pas qu’il est aveugle et croit, sous les bandeaux, avoir des yeux ; il écarte les bandeaux, il tâte ses orbites vides et pousse un cri de détresse à vous déchirer le cœur ; l’autre, l’Adieu de Paris au général Gallieni, est un hommage au grand chef et aux foules qui l’avaient reconnu. Et des croquis de la guerre : les villages dévastés, l’Alsace, maisonnettes enguirlandées de roses et qui ont l’air de resplendir sur les fonds de montagnes vertes et qui ont l’air de s’égayer sur les fonds lugubres de la guerre ; les tranchées, les « secteurs tranquilles, » où pleuvent les obus et où les soldats se tiennent volontiers sur le pas des abris souterrains, aimant encore mieux « attraper ça dehors » que d’être enterrés vifs ; maints croquis de tout ce qu’on voit, puis de ce qu’on devine, croquis des « aspects » et des âmes. Novembre 1916 : « Il pleut sur l’enfer de la Somme... » C’est une route, « sorte de voie sacrée qui mène au front, » et que suit, écrase, bouleverse un charroi continu : deux files de