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Il règne d’ailleurs à ce sujet quelques petits préjugés parmi les soldats. Par exemple, beaucoup de fantassins sont persuadés que deux obus d’un même tir ne tombent jamais dans le même trou et on les voit, pour franchir une zone dangereuse, sauter d’ « entonnoirs » en « entonnoirs, » en choisissant de préférence ceux qui sont les plus fraîchement creusés. Ils ont tort ; ou plutôt ils n’ont ni tort ni raison : la chance pour qu’un coup de canon tombe sur un trou d’obus récent est la même que pour qu’il tombe sur un trou ancien donné et de même dimension ; elle est évidemment moitié moindre que pour qu’il tombe sur l’un de deux trous anciens ; et le quart, si on considère quatre trous anciens ; et, comme le nombre des « entonnoirs anciens » est en général plus grand que celui des entonnoirs tout neufs, c’est peut-être là ce qui explique ce petit préjugé. Il en est là comme à la roulette : la chance pour que la rouge sorte est toujours exactement de 50 pour 100, la blanche fût-elle avant sortie dix fois de suite. Faites l’expérience mille fois et vous le constaterez sans réplique. En résumé, et pour pasticher un mot célèbre de Joseph Bertrand, « le canon n’a ni conscience ni mémoire. »

Du point de vue de celui qui reçoit les coups de canon, passons maintenant au point de vue de celui qui les envoie.


Lorsqu’un canon est pointé sur un but donné, dans une certaine direction et pour une certaine distance, c’est-à-dire, pour parler le langage des idoines, avec une dérive et une hausse données, il semble que si, sans qu’on change rien, ce canon tirait plusieurs projectiles successifs, ils devraient tous tomber exactement au même point. Le problème du tir serait alors très simple et se réduirait à un pointage exact. Malheureusement, il n’en est rien, et les coups de canon tirés successivement sur hausse unique touchent en général en des points un peu différens. Cela tient à des causes multiples dont voici quelques-unes :

1° Tout d’abord les projectiles successifs dont s’alimente une pièce de canon ne sont pas rigoureusement identiques. Si soignée qu’ait été leur fabrication, ils diffèrent légèrement de poids ; il s’ensuit que, toutes les autres circonstances du tir fussent-elles les mêmes. ces projectiles n’auront pas la même portée ; en effet, ainsi que je l’ai déjà expliqué, deux projectiles de même forme, mais de poids différens portent, pour une même vitesse initiale, à des distances différentes, le plus lourd allant plus loin. Il convient d’ailleurs de remarquer