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par la libération des autres et qui fonde sur la justice la sécurité nationale et les relations internationales, etc. » C’eût été peut-être la même pensée, presque le même langage, ce n’était pas le même accent. C’eût été à la fois plus précis et plus général, plus vaste et moins limitatif, moins parlementaire et plus politique ; surtout, cela sonnait plus haut. Mais ce n’est pas ce que la Chambre cherchait.

On voit très bien pourquoi et comment a été rédigé le texte qu’elle a retenu. Il a été le fruit de concessions réciproques, ou plutôt de concessions balancées aux uns et aux autres, qui se sont mis à cent pour le dicter. Le salut initial à la démocratie russe n’est pas, de la part de son principal auteur, un simple souvenir classique : c’est une politesse aux socialistes. Le rappel de la protestation des Alsaciens-Lorrains est une idée ingénieuse de M. Klotz. La répudiation de l’esprit de « conquête » est encore une attention pour les socialistes, qui se laisseraient engager en échange à « abattre le militarisme prussien. » L’acte de foi ou d’espérance dans la « société des nations » est à l’adresse de M. Renaudel autant que de M. Wilson, et, par son intention, devient un peu un acte de charité. C’est le « comment ; » quant au « pourquoi, » il n’est pas plus difficile à saisir. La complaisance de tous les groupes, la patience de la Chambre, les adjurations de M. Ribot le révèlent : il s’agit d’éviter une coupure, de retenir les socialistes, de les reprendre, de les ramener. Il s’agit de refaire ou d’affirmer l’union des âmes par l’unanimité des voix. La peine n’a pas été absolument perdue. L’ordre du jour fut adopté par 467 députés contre 52, dont 47 socialistes impénitens et 5 socialistes ou radicaux fantaisistes. Le Sénat qui, selon l’habitude, a doublé sans délai le Comité secret du Palais-Bourbon, a corrigé heureusement par un second ordre du jour, voté, celui-là, à l’unanimité (on n’y connaît pas de socialistes), ce que ce style avait de trop mou. Et, pour ce que ce programme pourrait avoir de trop modeste, M. le président du Conseil a tout réservé en jurant : « Il n’y aura de paix que dans la victoire. » Le Destin n’a pas les mains liées. Nous le forcerons par notre constance ; et notre volonté seule, qui donnera la mesure de notre vertu, fixera celle de notre fortune.

Ce n’est pas à dire, — et il faut même dire franchement le contraire, — que nous ne soyons pas, suivant la remarque de M. Ribot, « à l’heure de la lutte la plus rude. » Il n’y a point de place ici pour les fanfaronnades. Oui, l’heure est rude et longue à s’écouler ; et derrière elle viennent peut-être de plus longues et de plus rudes heures. Mais ce n’est pas entre des jours tissés d’or et de soie et des jours emplis