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protester ou à sourire, quand ils entendaient formuler pareille accusation, et, de fait, les pages abondent dans leur œuvre, qui contredisent le matérialisme. Il n’en est pas moins vrai que Taine et Renan, et nombre de leurs contemporains avec eux, en réduisant tout à la science, — et à la science positive, — en effaçant les distinctions nécessaires entre les divers « ordres » de réalités et de points de vue, affectaient de ne tenir compte que de ce qui se compte et de ce qui se pèse, et, selon le mot d’Auguste Comte, ils s’efforçaient de ramener le supérieur à l’inférieur, et d’expliquer celui-là par celui-ci. A l’insu, et contre le vœu de leurs auteurs, les conceptions qui triomphaient chez nous à la veille de la guerre franco-allemande tendaient, pour la plupart, comme vers leur limite extrême, au monisme matérialiste de Hæckel.

Ces conceptions ne s’étaient point imposées à l’esprit public sans soulever quelques objections. Celles qui vinrent des représentans officiels du spiritualisme chrétien n’eurent pas toute l’originalité qu’on aurait pu souhaiter, et on les trouva généralement un peu surannées. Seul, le P. Gratry, dans ses polémiques contre ceux qu’il appelait « les sophistes, » sut trouver, pour défendre les thèses traditionnelles, des argumens nouveaux, et si sa pensée, souvent aventureuse, avait toujours eu autant de solidité et de profondeur qu’elle avait d’éclat, de subtilité et de générosité, il aurait pu être pour ceux qu’il critiquait un redoutable adversaire. Quant à l’éclectisme, depuis de longues années il piétinait sur place; il ne se renouvela point pour la circonstance. C’est tout au plus si quelques penseurs indépendans, plus ou moins apparentés à l’école, tantôt directement, et tantôt indirectement, réussirent à porter aux nouvelles doctrines certains coups particulièrement bien assenés : Caro, d’abord, dont on a trop médit, et qu’on vanterait peut-être davantage, s’il était moins bon écrivain; Cournot ensuite, savant, économiste et surtout philosophe de premier ordre, dont les libres spéculations sont à l’origine de bien des idées toutes contemporaines; enfin, et peut-être surtout Félix Ravaisson. Celui-ci, dont le fameux Rapport sur la philosophie en France au XIXe siècle est de 1867, aurait pu être, s’il l’avait voulu, un grand chef d’école. Nourri d’Aristote, de Schelling, — et de Pascal, — ouvert à toutes les idées et à tous les systèmes, il ne tenait qu’à lui de fonder et d’organiser le vrai