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traditionnelle. Il est désormais bien établi qu’on ne saurait tirer de la science, ou plutôt des sciences positives, ni une religion, ni même une morale. De plus en plus nombreux sont ceux qui, déçus par la science, regardent avec sympathie, avec respect, avec envie, du côté de la morale religieuse et des religions positives. D’autres, plus hardis, et auxquels l’acceptation de l’Inconnaissable ne saurait suffire, trouvent dans l’étude approfondie de l’âme humaine et dans l’analyse des conditions de l’action, de nouvelles raisons d’adhérer au dogme chrétien. Et de tous côtés enfin, on commence à soupçonner que cette nouvelle manière de penser est la plus conforme à la vraie tradition française, et qu’elle n’est pas indifférente aux prochaines destinées de la patrie.


IV

Ce qui est sûr, c’est que, de proche en proche, elle renouvelait la littérature nationale. Si l’on met à part, peut-être, les livres de M. Anatole France, toutes les œuvres considérables qui, depuis vingt ou vingt-cinq ans, ont laissé leurs traces dans l’histoire des lettres françaises, se rattachent, plus ou moins directement, à ce nouveau courant d’idées.

En poésie, l’œuvre la plus originale qui ait vu le jour en France depuis les recueils de Leconte de Lisle, de Sully Prudhomme, de Heredia, c’est assurément Sagesse, le pur chef-d’œuvre du malheureux Verlaine. Or, il n’y a rien de plus chrétien, et même de plus strictement catholique, dans toute la poésie française, que ce mince volume où la piété quasi enfantine de l’auteur s’exhale en des vers d’une si touchante douceur et d’une musique presque immatérielle.

Les théories de l’école symboliste sont en conformité trop étroite avec la philosophie nouvelle pour que la concordance puisse être attribuée à un simple hasard. En fait, les doctrines de M. Bergson et les vers de M. Henri de Régnier répondent à un même besoin des esprits : le désir d’échapper à l’obsession de ce qu’on est convenu d’appeler la réalité, et qui n’est, au vrai, que l’extérieur et l’apparence des choses, l’ambition de libérer l’âme humaine, de lui rendre ses titres et de remplir ses légitimes aspirations.

Le théâtre se prête moins peut-être qu’un autre genre littéraire