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sa doctrine d’assez flagrans démentis, et si Maupassant est mort trop tôt pour se contredire, il semble bien que, vers la fin, il se soit ouvert à des préoccupations un peu plus élevées que celles de ses débuts : Pierre et Jean est assurément d’une inspi- ration plus haute que la Maison Tellier. Quant à Alphonse Daudet, il était trop foncièrement poète pour qu’on pût le classer parmi les purs naturalistes, et par les fantaisies de sa verve comme par les délicatesses de sa sensibilité, il s’évadait à chaque instant de l’étroit système où il avait failli se laisser emprisonner.

De plus jeunes disciples de Zola faisaient un pas de plus. Tandis que les uns, comme M. Paul Margueritte, se révoltaient bruyamment contre le maître, d’autres, comme Edouard Rod, se détachaient de lui sans fracas, mais sans retour. Le Sens de la vie est contemporain du Disciple et procède d’une inspiration assez analogue : le livre semblait ouvrir une voie où l’auteur s’est d’abord engagé avec une certaine hardiesse, — ainsi qu’en témoignent ses Idées morales du temps présent, — puis avec une timidité inquiète qui trahissait un grand fond d’incertitude : « néo-chrétien » sans la foi, Rod est resté « au milieu du chemin, » symbole expressif d’un mouvement d’idées qu’il n’a pas suivi jusqu’au bout. Un autre élève de Zola, J.-K. Huysmans, après bien des expériences fâcheuses et quelques livres regrettables, s’est converti franchement au catholicisme; une fois converti, il n’a abdiqué ni son talent, ni son style; il a écrit des livres d’une verve originale, d’une langue singulièrement riche, vivante et drue; il s’est fait, si l’on peut dire, le romancier naturaliste de l’expérience religieuse.

En dehors du naturalisme, les écrivains et les œuvres marquent plus nettement encore leur désaffection croissante à l’égard des dogmes qui avaient eu la faveur de la génération précédente. C’est Pierre Loti qui, après avoir promené de ciel en ciel l’inquiétude angoissée de sa nostalgie religieuse, félicitait dans l’un de ses derniers ouvrages M. Bergson d’avoir « culbuté le déterminisme, » flagellait « cette lie des intelligences qui, au nom de la science, se rue sans comprendre vers le matérialisme le plus imbécile, » et jetait sa « clameur d’infinie détresse » vers « la Pitié suprême. » C’est M. René Bazin, conteur exquis, romancier par excellence des provinces françaises, qui n’a jamais séparé l’une de l’autre sa foi religieuse