Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 44.djvu/127

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fois l’indépendance respective et la continuité de ces trois termes, de ces trois points de vue : science, philosophie, religion. L’homme complet, d’après lui, doit être tout ensemble savant, philosophe, religieux. La science a l’autonomie complète de ses méthodes et de ses conclusions. Mais la philosophie à son tour a le droit et le devoir de critiquer la science, et c’est elle qui nous renseigne sur le sens exact, la nature et la portée des lois et des formules scientifiques ; et c’est elle enfin qui établit la légitimité et les fondemens rationnels de la religion et la religion, telle que la conçoit M. Boutroux, avec ses dogmes, ses rites, son autorité concrétisée dans une Église, ne diffère évidemment point du catholicisme.

Le cercle est clos désormais[1]. Et il est bien curieux d’observer que, d’un commun accord entre philosophes, savans et simples écrivains, une science et une philosophie parties, voilà un demi-siècle, selon le mot de Taine, à la conquête « d’un art, d’une morale, d’une politique, d’une religion nouvelles, » en reviennent tout simplement à l’art, à la morale, à la politique, à la religion traditionnelle.

Veut-on voir maintenant le chemin qu’ont fait toutes ces idées dans les générations nouvelles ? Qu’on ouvre, entre tant de livres contemporains où ces tendances se manifestent, trois ouvrages parus coup sur coup à la veille de la guerre, et qui ont tous trois le même objet : Aux écoutes de la France qui vient, par M. Gaston Riou, A quoi rêvent les jeunes gens, par M. Henriot, les Jeunes gens d’aujourd’hui, par Agathon. Sur la plupart des points essentiels, les auteurs de ces trois enquêtes se rencontrent. Goût de l’action, foi patriotique, préoccupation morale, renaissance catholique, réalisme politique : voilà ce qui, d’après l’un d’eux, caractérise la jeunesse nouvelle. On ne saurait imaginer un programme plus différent de celui qui séduisit la jeunesse de 1860. Et il faut voir en quels termes, souvent fort dédaigneux, ces jeunes gens parlent de ce qui fut la grande idole de leurs devanciers, la Science, et surtout, — car, à proprement parler, ils ne nient pas la science, ils se contentent de la maintenir à sa juste place, — des faux dogmes qui

  1. Dans une étude plus développée, — et qui dépasserait les bornes de ma compétence, — il y aurait lieu de recueillir les conclusions concordantes des récens travaux relatifs à la psychologie introspective, à la sociologie, à l’exégèse et à la philosophie de la religion.