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formaient le credo scientiste. Leur credo à eux pourrait, à peu près, se résumer de la manière suivante.

Le mot science dont on a tant abusé pour désigner toutes les opérations de l’esprit, enferme une fâcheuse équivoque. Au lieu de le réserver, comme on aurait dû le faire, à tout ce qui se compte, se mesure ou se pèse, bref, à la science positive, on l’a appliqué à toutes les conceptions métaphysiques qui, d’une façon plus ou moins légitime, se recommandant de la science positive, ont voulu bénéficier, du caractère d’infaillibilité qu’à tort d’ailleurs on attribuait à la science positive. On aurait dû dire, plus modestement : le savoir ; on disait emphatiquement : la Science. Cette science positive dont on était si fier n’avait du reste que deux inconvéniens : le premier, d’être toute relative, conjecturale, et de ne nous livrer aucune certitude; le second,... de ne pas exister, du moins en tant que représentation totale de l’univers matériel, puisque l’expérience ne nous révèle que des sciences particulières, autonomes, ayant chacune leur méthode et leur objet. De ces diverses sciences qui se partagent en deux grands règnes, les sciences de la matière inerte et les sciences de l’être vivant, il est impossible de tirer une morale; tout au plus, les plus relevées d’entre elles, la psychologie, la sociologie pourraient-elles suggérer un « art de vivre, » mais combien vague et combien inconsistant ! — « des indicatifs, comme l’a dit très joliment Henri Poincaré, et non pas des impératifs. » La vraie morale, celle qui commande et qui condamne, ne peut se fonder que sur la métaphysique, et, mieux encore, sur la religion. Dans ce nouveau domaine qui est celui de l’action, et non celui de la logique abstraite, les pauvres objections que l’on tirait jadis d’une pseudo-science interprétée par une philosophie simpliste et médiocre, n’ont plus leur raison d’être; elles hésitent à se formuler; elles s’évanouissent, et quand bien même la critique des sciences n’en aurait pas fait justice, elles se révéleraient inopérantes. Si respectable que soit la pensée, sous sa forme scientifique ou sous sa forme métaphysique, elle n’est pas tout l’homme. L’homme total est pensée et action, et si la pensée doit éclairer et guider l’action, elle ne doit pas la paralyser. En fait, pour qui veut interroger loyalement la pensée tout entière et la suivre jusqu’au bout de ses conclusions, elle ne paralyse pas l’action, elle ne le contredit pas; elle y conduit, elle y incline.