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elle s’incline aussi devant elle; à sa limite même, elle se confond avec elle. Et il n’est aucun vrai penseur qui n’accorde aujourd’hui qu’« un saint Vincent de Paul atteint mieux qu’un

Spinoza les profondeurs de la réalité véritable. » [1]


A ces convictions théoriques la guerre est venue apporter une confirmation singulière, la confirmation de l’expérience après celle de la raison. Le peuple d’où nous est venu le scientisme a voulu montrer au monde ce que serait une humanité qui ne croirait qu’à la science, et qui vivrait, qui agirait suivant les prescriptions de la morale dite scientifique. Comme les ilotes ivres de l’ancienne Sparte, l’Allemagne ivre de science nous a donné le hideux spectacle de sa dégradation spirituelle. Depuis un demi-siècle surtout, elle s’était matérialisée à plaisir. La science l’avait comblée de tous les biens temporels qu’elle dispense à ses fidèles : la richesse, la prospérité industrielle et commerciale, même la gloire militaire. Pour obéir aux lois « scientifiques » de la concurrence vitale, — et aux suggestions de sa voracité et de son orgueil, — elle s’est jetée comme une bête fauve sur les autres peuples; elle a déchiré les traités les plus sacrés; elle a piétiné tous les droits humains; elle a déchaîné sur le monde la guerre la plus « scientifique, » — et la plus inhumaine, — que l’histoire ait jamais connue. Elle a prouvé par un exemple saisissant, — et effroyable, — que la science, sur laquelle elle avait fondé toute sa « culture, » est absolument étrangère à toute notion de moralité. Non pas, bien entendu, que la science soit immorale; elle est simplement amorale; elle est indifférente au bien et au mal; la puissance qu’elle met aux mains de l’homme peut être bienfaisante, ou malfaisante, à volonté. L’Allemagne a choisi cette dernière alternative. La science ne lui a servi qu’à se débarrasser de ses derniers scrupules, qu’à colorer ses ambitions, qu’à multiplier les uns par les autres, les effets destructeurs de sa barbarie. L’Allemagne a déshonoré pour l’éternité, non pas la science, mais la religion de la science qui était devenue sa religion

  1. Edouard Le Roy, Science et Philosophie (Revue de métaphysique et de morale, janvier 1900). — Voyez aussi dans le livre du même auteur, Une philosophie nouvelle : Henri Bergson (Alcan, 1912), les pages, fort admirées, d’Emile Faguet, qui sont intitulées l’Œuvre de M. Bergson et les directions générales de la pensée contemporaine.