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par de violens bombardemens. Quelquefois, de lourds panaches de fumée se traînent à l’horizon du côté de la mer... Une bataille navale ? Qui sait ? Sur ce pays plat, les ciels, maintenant, sont tragiques. Souvent, à l’horizon se dresse tout droit un gigantesque rideau de nuages, qui nous enserre, comme une muraille derrière nos fils de fer ; ou bien une buée s’aplatit sur nous, à perte de vue, nous écrase, nous oppresse. Elle aussi, la nature fait de nous des prisonniers. La mélancolie de l’automne nous étreint, une âpre tristesse nous pénètre. Passerons-nous l’hiver ici ? Il fait très froid maintenant ; le travail est devenu de plus en plus douloureux ; on tousse ; l’infirmerie est pleine de bronchiteux, de pleurétiques, qu’on n’évacue pas et qui traînent leur fièvre...

Le ministre de l’agriculture allemand est venu visiter les travaux en grande pompe : nombreux états-majors civils et militaires. Il n’est pas content de nous, parait-il. En visitant une baraque, il constate que coucher par terre, c’est bien bon pour des Français. Il recommande une discipline plus stricte. Alors, les sentinelles vont s’en donner !

Cette nuit, un des hommes de garde à l’extérieur de l’enceinte du camp, apercevant une lueur à la fenêtre d’une baraque, a tiré, — pour éteindre la lumière, a-t-il dit. La balle a pénétré dans la baraque et atteint un dormeur, lui broyant le genou et le coude droits. Le blessé n’a été pansé que le lendemain.

6 septembre. — Grande nouvelle ! Nous partons tous demain pour nos camps d’origine, la France, au dire des Allemands, ayant accordé satisfaction.


RETOUR AU CAMP D’O...

10 septembre. — Nous sommes revenus à O... Nous arrivons chauves, glabres, comme des bagnards, nos vêtemens dégouttant encore de vase, harassés et amaigris. Les camarades que nous rejoignons nous considèrent avec pitié. Eux nous semblent bien vêtus, pareils à des civilisés... Nous réintégrons nos compagnies, nos perchoirs. Réinstallation. C’est une détente. Nous retrouvons des visages familiers, un cadre connu, où nous avons déjà vécu : nous sommes « de retour ! »

Octobre et novembre — La vie du camp a repris son cours.