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elle continue morne et plate. C’est toujours le même roulement de corvées qui vont aux carrières, poussent des wagonnets, cassent des cailloux.

Ce matin, nous avons trouvé, partout placardée, une image de Jeanne d’Arc sur son bûcher. Les Allemands en ont mis dans nos chambrées, dans les couloirs, dans leurs bureaux de compagnies... Encadrant l’image, un long poème filandreux en mauvais français exalte la douceur, la naïveté de Jeanne, stigmatise la perfidie et la cruauté des Anglais, et s’achève sur la compassion que provoque la pauvre France qui, aveuglément, a repoussé l’alliance avec l’Allemagne, pour mieux se livrer, elle et son territoire, à ses ennemis héréditaires ! Conclusion : l’annonce de la perte, pour nous, de Calais, ville anglaise à laquelle nous devons renoncer à jamais... Les Allemands déploient une grande activité dans cette propagande de perfidie. Des albums, des livraisons hebdomadaires de photographies soigneusement choisies, sont édités depuis le début de la guerre, commentés en onze langues. Notre camp en est abondamment pourvu. Après les protestations universelles soulevées par leurs sanguinaires sacrilèges de Reims, d’Arras, de Louvain, de tant de villes assassinées, les Boches tentent de se laver de l’accusation de « barbarie » à l’aide de photos prises antérieurement ou truquées, d’explications équivoques, de sophismes nébuleux, ou encore en découpant dans nos communiqués telles petites phrases : « Action de notre artillerie contre la position de X..., » ou « Nos 75 ont bombardé Z... » Ils forgent ainsi des preuves mensongères et les donnent comme légende à des photos de villes et de villages, sauvagement anéantis dans leur avance de 1914 ou broyés par les batailles qui ont suivi. Mais leur plus répugnante manœuvre de faussaires est la création de la Gazette des Ardennes, éditée à Charleville, à l’usage des populations des pays envahis.

Or, nous avons flairé le piège : ils ne nous y prendront pas. Ce n’est pas leur infâme Gazette qui nous donnera le cafard. Notre moral tiendra bon. En Belgique, il paraît un journal similaire : Le Petit Bruxellois, et un autre, en Pologne occupée, publié en polonais et en russe. Le camp est littéralement submergé de ces odieuses feuilles.

Janvier 1916. — L’effectif encore présent au camp est à peu près de un sur trois. Les deux tiers sont donc aux bagnes ! ... Le travail