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Il va ainsi de camp en camp dans une pensée philanthropique. Nous nous y rendons, pour voir. Au premier rang, trônent les autorités allemandes. Disséminés dans la salle, à l’affût dans les coins, des employés de la censure postale. Ceux-là ne perdront rien de ce qui se dira autour d’eux. Voici l’orateur ; dès ses premiers mots, nous sommes fixés ; son français tudesque nous écorche les oreilles. Il se lance dans une étude comparative du tempérament dès différens peuples engagés dans la grande guerre. Les races slaves et latines sont assez malmenées ; les Anglo-saxons sérieusement dépréciés ; par un habile contraste, les Français, légèrement critiqués, se voient décerner des louanges et, surtout, il leur est prédit les plus brillantes destinées, s’ils savent plier leur esprit, naturellement léger et insoumis, à une discipline rigoureuse et raisonnée. D’où vient en effet la puissance invincible des Empires centraux, et particulièrement de la grande Allemagne, de ces Germains, race prédestinée et élue entre toutes, si ce n’est de la force volontaire et inflexible ? Nous y voilà ! Ce soi-disant neutre, ce pur Boche, n’y va pas par quatre chemins : la malice est subtile !... Soudain, une bordée de sifflets stridens lui coupe la parole. Les officiers, debout, hurlent des ordres. Les quelques Allemands qui tentent de barrer la porte, sont débordés ; les nôtres sont déjà dehors, et ce sont des huées sans fin. Des sentinelles font irruption, baïonnette au canon ou sabre au clair ; mais alors, nous nous envolons par les fenêtres... Une dizaine des nôtres seulement sont encerclés... et doivent subir la conférence jusqu’au bout. Cependant, T’orateur ne s’est pas ému, pour si peu, — il doit être habitué à ce genre d’ovations, — et il continue de réciter son discours à la gloire de la plus grande Allemagne. Que lui importe ! Il est payé, il fait sa besogne...

Punition générale à tout le camp, pour avoir fait preuve de mauvais esprit.

Février. — Beaucoup de malades. La plupart reviennent des kommandos, et c’est pour mourir. Il y a force accidens du travail, bras et jambes cassés ou broyés, — même aux corvées du camp, aux wagonnets où des blessés, un membre estropié, sont employés. Aux malheureux, ainsi estropiés, l’officier enquêteur démontre qu’ils sont victimes de leur seule imprudence, et il leur refuse le certificat d’accident...

Trois cents prisonniers civils viennent d’arriver : ce sont des