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Français des régions du Nord. Ils crèvent de faim. Isolés dans de doubles enceintes de fil de fer, nous avons toutes les peines du monde à les ravitailler. L’autorité voudrait trouver parmi eux des volontaires pour les divers travaux. Ils refusent : on les trimballe de camps en camps, espérant que la faim et les vexations les feront réfléchir. Trois vieillards, maigres comme des squelettes, viennent de mourir. Il en est ainsi à chaque déplacement. Il y a des gamins de dix, douze ans, grelottans de froid, pitoyables dans de vieux vêtemens, autrefois jaquettes ou vestons...

Une inquiétude nous prend. Les journaux allemands, depuis quelques jours, sont tout ronflans et joyeux d’une formidable attaque dirigée sur Verdun. Ils n’ont aucun doute sur l’issue de leur offensive : la chute de la place leur livrant la route de Paris, ce sera la victoire, la paix dans deux mois. De longs articles démontrent que Verdun est l’enjeu suprême et décisif. La bataille décidera du sort de la guerre, du sort des peuples.

Samedi 26 février. — Quelle triste semaine nous passons, le cœur serré ! Nous vivons tous dans la même angoisse, le drame épique où la France peut sombrer. Douaumont est tombé. Vaux serait pris aussi...

Mars. — Patatras ! Sans crier gare, les listes noires ont fonctionné : 300 des nôtres désignés sur l’heure partent demain soir pour destination inconnue. « Représailles. » Encore !... Le bruit court qu’il s’agit d’une mesure disciplinaire. Ceux qui sont frappés auraient écrit ou reçu des lettres dont le texte photographié et envoyé à Berlin aurait été mal vu : d’où ordre de sévir. Ils portent cousue au bras une grande étiquette à lettres noires F. R. K. On cherche vainement à interpréter ces mystérieuses initiales. Ils seraient dirigés sur M..., grand centre de mines de charbon qui manque d’ouvriers. Les pauvres diables partent à la tombée de la nuit après distribution d’un complet neuf de prisonnier : pantalon et veste noirs, à larges bandes de toile jaune, petit calot rond et une paire de sabots. Quelle misère !

Une commission de médecins est arrivée. Tous, nous passons cette visite médicale, qui ressemble absolument à un conseil de révision ultra-rapide. Chacun de nous est classé sous un numéro : 1 ou 3. Que signifie cela ? Les Allemands restent muets.