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Travail. Travail. Kommandos ! C’est une obsession. Les départs ont repris, sans arrêt, et en corrélation, semble-t-il, avec les numéros que les médecins allemands nous ont attribués. C’est donc l’organisation générale et méthodique du travail de tous les prisonniers. Les numéros 1 partent pour les mines, les numéros 3 aux cultures et autres besognes.

Tous les jours, ceux qui sont désignés pour la culture sont rassemblés sur la route, hors du camp, avec tous leurs bagages, puis les employeurs arrivent : généralement de vieux paysans avec leurs filles, ou des fermières dont l’homme est aux armées, et qui viennent chercher des bras.

Les groupes pour mines ou usines s’en vont, encadrés de sentinelles : c’est le « Marché aux esclaves. »

Avril. — Les listes, les fameuses listes, fonctionnent à nouveau. Sous-officiers et professions libérales sont versés à la compagnie de discipline. Tous les matins, rassemblemens interminables. Arrivée de l’officier accompagné de ses scribes, porteurs des listes de proscriptions ! On appelle des noms par série, on forme des groupes, n° 1, n* 2, n° 2 bis, etc. Chacun a pris son parti de la situation : « représaillé » pour « représaillé, » il n’est que de faire bonne contenance.

Ce matin, au réveil, la baraque était cernée par les sentinelles. Cette fois, les « représailles » sont désignés définitivement. La plupart d’entre nous étaient aux marais l’an dernier : on se retrouve entre camarades. Nous sommes 500. Discours d’usage souligné de nos murmures : « Le gouvernement allemand ne peut pas souffrir plus longtemps les traitemens indignes infligés à ses nationaux prisonniers, particulièrement aux « intellectuels » qui sont envoyés au Maroc, travaillent comme des forçats et souffrent les pires tortures. A la barbarie les Allemands regrettent d’être obligés de répondre par la barbarie, bien qu’ils aient tout fait jusqu’ici pour l’éviter. Mais le gouvernement français, gouvernement républicain, proclame l’égalité de tous les simples soldats devant le travail, et refuse de favoriser le sort des « intellectuels. » Prenez-vous-en donc de ce qui vous arrive à vos « principes » démocratiques. Les traitemens que vous allez subir vous donneront à réfléchir. Le travail sera tel que le soir vous serez épuisés. Mais vous pourrez écrire cela en toute liberté, et dès maintenant, à vos familles, à vos députés