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surtout... Les « représailles » cesseront si nous obtenons ce que nous voulons. Nous ne savons pas où vous allez ; mais abandonnez tous vos bagages inutiles. Vous devez être peu chargés : on ne tolère que 15 kilogrammes. »

Nous avons, nous aussi, notre grande étiquette blanche, F. R. K., à coudre sur la veste et le manteau, comme nos camarades déjà partis en mars, dont on est toujours sans nouvelles. Nous allons peut-être les rejoindre. Où cela ? probablement en Russie. Les Allemands distribuent des vêtemens : chacun doit posséder une paire de souliers et de bottes en bon état, manteau, pantalon et veste, pas de couvertures. Ça sent le grand voyage.


DANS UNE FORÊT DE RUSSIE

18 avril. — Nous sommes rassemblés depuis la soupe du matin, sac au dos. Ils n’en finissent pas de nous compter, de nous aligner, de nous recompter.

Nous croisons plusieurs officiers, qui se plaisent à nous dire : « Ce n’est pas drôle où vous allez. » Narquois, un autre ajoute : « Bon courage ! » A quoi nous ripostons en chœur : « Vous aussi ! » Quelques-uns nous saluent, pour un peu marqueraient des regrets, par un « C’est la guerre !... » souligné d’un sourire hypocrite.

Dans les rues de la petite ville il commence à pleuvoir. A la gare tout l’état-major du camp est présent : les faces compassées ont de furtifs éclairs de joie à reconnaître tels ou tels d’entre nous, Des haines instinctives d’homme à homme se trouvent ainsi assouvies. Tranquillement, résignés à tout, nous nous entassons dans nos wagons à bestiaux. On part. Il est cinq heures du soir. Nous ne reviendrons jamais plus ici...

Depuis vingt-quatre heures, nous roulons, cadenassés. Sommes passés à Leipzig. Ignorance absolue de notre destination.

Seconde nuit. Au petit jour, nous entrons en Prusse : Posen.

Au matin du troisième jour, arrivée à la gare frontière russe. Tout est bouleversé, anéanti : des ruines calcinées, noircies par les flammes. Mais les Allemands ont reconstruit, en bois, et des équipes de prisonniers russes travaillent encore aux voies.