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s’agite et hurle des ordres d’une voix saccadée qui s’étrangle dans la gorge : les sentinelles s’effarent, les coups de crosse peuvent. Une brute à l’air de fou. Désormais, pour nous, il sera : l’Hystérique.

Marche interminable, pour traverser la ville de R..., entièrement construite des deux côtés de la route boueuse. Nous pataugeons dans de véritables cloaques, et, à la nuit tombante, nous arrivons devant un baraquement en planches. C’est là que nous allons être parqués. Nous devons laisser nos sacs et bagages dehors, puis la porte s’ouvre et, comme un troupeau, nous sommes poussés à l’intérieur. Pas de fenêtres, pas de lumières. On se sent enfoncer dans le fumier, c’est une infection. Défense absolue de sortir ; les sentinelles ont ordre de tirer. Nous sommes cinq cents entassés les uns sur les autres, essayant de nous accroupir sur les talons, tellement brisés de fatigue que nous n’avons plus qu’une pensée : dormir.

23 avril 1916. — Pâques. — Au petit jour, des aboiemens frénétiques nous tirent de notre torpeur : ils partent d’un caporal boche, que nous apercevons dans l’encadrement de la porte. Petit et maigrelet, la figure travaillée de tics nerveux, les yeux luisans, la barbiche noire en pointe, on dirait un diablotin exaspéré. Derrière lui, un lourd colosse, les mains aux genoux, se dandine comme un chimpanzé, la face barrée d’un long nez rouge, derrière lequel s’embusquent deux petits yeux bridés. Lui aussi est caporal ; lui aussi aboie contre nous ; les sentinelles font le cercle : ce réveil n’est pas engageant. Ordre de sortir en vitesse. Le maudit diablotin se met en devoir de distribuer à droite et à gauche des coups de bottes dans les jambes de ceux qui se trouvent près de la porte. Des cris s’élèvent parmi nous. Les Boches ont dégainé, les sentinelles mettent baïonnette au canon : il est sage de faire vite. On nous compte ; on nous forme en corvées de nettoyage, corvées de bois, etc.

Nous partons pour la forêt.

De la neige fondue, des nappes d’eau partout. Des sapins de quatre à cinq mètres ont été abattus. Nous voulons les emporter par corvées de deux. Algarade. Chacun doit se charger d’un tronc d’arbre. C’est terriblement lourd à l’épaule... L’Hystérique arrive., Rassemblement. Nous lui présentons une réclamation, au sujet des coups de ce matin. La voix étranglée