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de spectateurs s’étaient introduits dans les couloirs. Précédé d’un cortège d’huissiers, Albert Ier gravit l’escalier d’honneur sur les marches duquel des gardes présentaient les armes. Les acclamations reprirent, et l’on vit des chapeaux à plumes s’élever sur les baïonnettes des soldats-citoyens. Cinq années auparavant, en décembre 1909, le jeune roi, au milieu des vivats qui saluaient sa joyeuse entrée à Bruxelles, était venu par ce même chemin prêter le serment constitutionnel. Il avait, ce jour-là, solennellement juré « de maintenir l’indépendance nationale et l’intégrité du territoire. » Aujourd’hui, avant de partir à la tête de l’armée pour affronter la première puissance militaire du monde, il revenait affirmer devant ceux qui avaient reçu son serment sa ferme volonté d’accomplir ce lourd devoir. Le souvenir de cette journée lumineuse lui revint-il à la mémoire, tandis qu’il s’avançait vers la salle des séances ? Eut-il la vision de tout ce que son peuple aurait à souffrir pour avoir écouté la voix de l’honneur ? Nul ne le sait, mais un témoin aperçut une larme, furtivement essuyée, briller dans ses yeux graves. Il dompta bien vite son émotion et passa.

Dans la salle des séances on guettait son arrivée. Dès que sa haute silhouette se fut montrée sous la porte d’entrée, les deux mille personnes réunies dans la vaste enceinte le saluèrent d’une ovation formidable. Il regarda les députés ; puis solennel, maitre de son attitude et de ses gestes, avec une majesté qu’on ne lui connaissait pas encore, il monta au bureau, s’inclina lentement et reçut en roi l’hommage de la Nation. Une flamme nouvelle brillait dans ses yeux, d’ordinaire timides. Les traits légèrement contractés du visage marquaient seuls les sentimens profonds qui agitaient son âme. Dans la sobre tenue de campagne de lieutenant-général, que relevaient les tresses d’or aux épaules et les broderies du col droit, grand, les cheveux blonds et bouclés, d’une beauté mâle et fière, il se dressait comme le chef venant cimenter l’union du pays devant l’ennemi. Pendant de longues minutes l’ovation triomphale déferla de l’hémicycle aux tribunes, tandis que les officiers de la suite, en tenue de campagne eux aussi, prenaient place au pied de l’estrade. Dans l’enthousiasme général, aucune nuance ne permettait de deviner les frontières qui séparaient jadis les partis. Le groupe socialiste, loin de faire diversion, comme lors de l’Inauguration ou lors du discours du trône de 1910, participait