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de tout cœur à cette manifestation. Parmi les députés qui agitaient leurs mouchoirs, qui mêlaient aux cris de « Vive le Roi ! » ceux de « Vive la Belgique ! » dont ce jeune soldat incarnait l’image, beaucoup, surtout ceux dont le rude visage révélait l’origine plébéienne, pleuraient, cédant à une émotion qu’ils ne pouvaient plus retenir.


Et le roi parla.

Son discours était rédigé de la veille ; le Conseil des ministres en avait pris connaissance le matin même. Quand on le relit aujourd’hui, on constate que son texte ne répondait plus complètement à la situation du moment, puisque le ministre d’Allemagne, quelques heures auparavant, avait notifié à M. Davignon que l’Empire exécuterait, au besoin par la force, ce qu’il osait appeler « les mesures de sécurité indiquées comme indispensables vis-à-vis des menaces françaises. » Le discours du trône laissait encore percer un vague espoir de solution pacifique. La prudence extrême de la diplomatie belge voulait retarder le moment des paroles irréparables, dans la crainte de laisser échapper la moindre chance de paix. Mais sur la fermeté de l’attitude de la Belgique, sur sa volonté de ne transiger en rien avec le devoir, sur la portée réelle du conflit engagé, le discours du Roi était si net, si. catégorique, si courageusement clairvoyant que cette légère discordance ne fait pas ombre au tableau. Elle ajoute au contraire au caractère dramatique de cette inoubliable séance.

Albert Ier commença d’une voix basse ; son débit lent, son articulation nette le faisaient entendre d’un bout à l’autre de la salle suspendue à ses lèvres.

« Messieurs, dit-il, jamais depuis 1830 heure plus grave n’a sonné pour la Belgique : l’intégrité de notre territoire est menacée. La force même de notre droit, la sympathie dont la Belgique, fière de ses libres institutions et de ses conquêtes morales, n’a cessé de jouir auprès des autres nations, la nécessité pour l’équilibre de l’Europe de notre existence autonome, nous font espérer encore que les événemens redoutés ne se produiront pas. »

Le Roi posait nettement la question devant le pays et devant le monde. Il dépouillait la menace allemande de la phraséologie