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embarrassée qui en voilait le sens et montrait que c’était la vie même du pays que l’Allemagne mettait en jeu.

« Mais si nos espoirs sont déçus, continua-t-il d’une voix lente, s’il nous faut résister à l’invasion de notre sol et défendre nos foyers menacés, ce devoir, si dur soit-il, — et un geste sobre souligna le mot pour en dégager le sens profond, — nous trouvera armés et décidés aux plus grands sacrifices. »

La Chambre accueillit par des acclamations cette première déclaration. Les cœurs battirent plus rapides. Le Roi poursuivit, saluant l’armée, debout pour défendre la Patrie en danger. Puis sa voix s’éleva, se fit plus dure, plus forte :

« Partout, en Flandre et en Wallonie, dans les villes et dans les campagnes, un seul sentiment étreint les cœurs, le patriotisme ; une seule vision emplit les esprits, notre indépendance compromise ; un seul devoir s’impose à nos volontés, la résistance opiniâtre. »

Il faut avoir entendu ces derniers mots pour savoir comment on lance un mot d’ordre à une nation. La résistance opiniâtre ! La salle soulevée semblait boire ces paroles viriles qui répondaient si parfaitement au sentiment public ; elles s’envolaient de la Chambre jusque dans la capitale et par tout le Royaume où elle sont restées la formule directrice de tous les actes. Le Roi annonça ensuite le dépôt des projets de lois nécessaires pour la guerre et pour le maintien de l’ordre public.

L’atmosphère devenait de plus en plus chaleureuse ; l’unanimité s’affirmait si complète, l’accord entre le gouvernement et les représentans du pays si intime, l’attitude du chef si digne, si noble, si royale en un mot que l’émotion des grandes heures d’histoire saisissait à la gorge les spectateurs de cette scène. Mais le Roi continuait. Il regardait la salle, maintenant, et semblait s’adresser à chacun des assistans :

« Quand je vois cette assemblée frémissante dans laquelle il n’y a qu’un seul parti, celui de la Patrie... (acclamations enthousiastes, cris de « Vive la Belgique ! »)... où tous les cœurs battent à l’unisson, mes souvenirs se reportent au Congrès de 1830, et je vous demande, messieurs, — ici sa voix se fit plus grave encore, Albert Ier, debout sous la statue de son grand’père, parut se dresser pour interroger la nation et, ponctuant chaque syllabe d’un geste de fermeté, — êtes-vous décidés inébranlablement à maintenir intact le patrimoine sacré de nos ancêtres ? »