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ennemie, espérant toujours durer assez longtemps pour revoir la rentrée solennelle du Parlement dans le pays libéré. Il eût été si beau de revoir les mêmes visages à la présidence de la réunion d’hier et à celle de demain ! Mais l’épreuve fut trop longue pour ces têtes blanchies.

M. Schollaert, de sa voix ferme, de ce ton convaincu qui donnait à ses discours une véritable éloquence, faite de sincérité et d’émotion, remercia ses collègues. Il salua l’armée et la Nation : « Ah ! les braves gens, dit-il, et comme l’on est fier d’être Belge ! » Il évoqua l’inoubliable nuit de dimanche où il fut appelé au Palais. « Le soir, la menace éclate. La nuit, sous la conduite de notre Roi, les résolutions viriles sont prises pour assurer le respect de nos obligations internationales. Aux premières lueurs du jour, nos vaillantes troupes volent à la défense de nos frontières et depuis, sans cesser, nos jeunes gens par milliers viennent grossir nos bataillons... »

Mais l’heure est venue d’expédier le travail législatif. La Chambre vote sans discussion un crédit de guerre de deux cents millions. De mauvaises nouvelles, pourtant, circulent. Des députés arrivés tardivement en séance confirment des bruits qui circulaient depuis le matin. Tout à coup le baron de Broqueville, à qui l’on venait d’apporter un pli, se lève, demande la parole, et en proie à une émotion qu’il peut à peine surmonter, il proclame : « Messieurs, j’ai le douloureux devoir de communiquer à la Chambre que le territoire est violé. » Sensation prolongée^ dit le compte rendu sténographique. Il y eut, en effet, dans l’Assemblée un moment d’indescriptible douleur. La vision matérielle de l’envahisseur pénétrant par les routes claires du beau pays liégeois s’imposa à l’imagination de tous.

La nouvelle n’était pas inattendue pour le gouvernement. Dès six heures du matin, des indications officieuses lui avaient signalé des raids ennemis en divers points delà frontière. Vers huit heures, l’armée allemande avait en quelque sorte officiellement accompli son forfait à Gemmenich, dans le Limbourg, et avait distribué en territoire belge la proclamation du général von Emmich, commandant de l’armée de la Meuse. Les premières troupes d’invasion se composaient des 2e et 4e divisions de cavalerie. Les Allemands entrèrent successivement en Belgique par les routes d’Aix-la-Chapelle à Visé, d’Aix à Liège vià Herve, d’Eupen à Dolhain, d’Aix à Verviers, du camp