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Seul peut-être, M. Hendericks, représentant d’Anvers, dont le rôle devait plus tard être néfaste au moment des manœuvres allemandes pour exciter en Belgique la querelle linguistique, semblait se tenir en dehors de cet admirable élan. Chez quelques vieillards, la douleur l’emportait sur l’enthousiasme et l’on entendit un de ceux qui avaient contribué à retarder l’ère des réformes militaires murmurer tristement : Finis Patriæ ! M. Woeste montrait un visage navré ; il applaudit vigoureusement les discours du Roi et de M. de Broqueville, mais ses voisins virent des larmes désolées couler constamment de ses yeux.

La Chambre vota ensuite, sans observations, une augmentation du contingent de 1914, une loi sur la rémunération due aux familles des mobilisés et une loi sur les délégations en cas d’invasion du territoire.

Pendant que se poursuivaient ces délibérations, la ville se remplissait des échos de ce qui venait de se passer au Parlement. La foule accumulée, le long du parcours du cortège royal, se dispersait lentement. Bruxelles avait cet extraordinaire aspect de cité en fête qu’elle devait garder jusqu’à l’arrivée subite de l’armée allemande. Des drapeaux flottaient à toutes les fenêtres ; des groupes animés stationnaient sur la voie publique, des inconnus s’abordaient pour échanger des nouvelles et recueillir les plus fantastiques rumeurs. Bientôt des chants patriotiques se firent entendre. Un cortège se forma spontanément pour aller au ministère de la Guerre saluer l’armée et réclamer M. de Broqueville. Une foule énorme fut réunie en quelques instans au coin de l’avenue des Arts et de la rue de la Loi, appelant le ministre au balcon par mille cris enthousiastes. Le colonel Wielemans, le futur chef d’état-major de la retraite d’Anvers et de la bataille de l’Yser, travaillait au rez-de-chaussée de l’hôtel avec les officiers du cabinet militaire. Il ouvrit la fenêtre et avertit les manifestans que le chef du gouvernement était encore à la Chambre. « Vive l’armée ! » criait-on, à la vue de son uniforme vert. « Vive la Belgique ! » lança le colonel, et son cri fut repris par la rue noire de monde. Des mains se tendaient vers l’officier. Il referma la croisée, tandis que le cortège se dirigeait en chantant vers le Palais de la Nation. A sa tête marchait un homme portant sur ses épaules un enfant qui agitait le drapeau national.