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Mais ce serait diminuer le sens du choix que l’Académie a fait que de le croire seulement symbolique. Certes, c’est à toute l’armée qu’elle a voulu rendre hommage dans celui qui l’a menée à la victoire ; mais c’est bien le maréchal Joffre qu’elle a nommé, et elle a eu raison. Ce n’est pas qu’il soit littérateur. Jusqu’en 1914, il n’avait rien fait pour solliciter cette renommée qui vient du style ou de la parole. A l’École polytechnique, ses moins bonnes notes sont celles de français. Ce n’est pas ici le lieu de retracer sa carrière de soldat et je recherche seulement les quelques occasions qu’il eut de parler et d’écrire. En 1892, on l’envoie en Afrique construire le chemin de fer de Kayes à Bafoulabé. A la fin de 1893, il reçoit l’ordre de marcher par la brousse, avec une colonne d’un millier d’hommes, de Ségou à Tombouctou, appuyant la colonne Bonnier, qui avance par le Niger. Le commandant Joffre montre dans la conduite de sa troupe les qualités d’un chef excellent. Il prépare minutieusement l’expédition. Il recueille des renseignemens précis sur le pays et sur la façon de combattre de l’ennemi. Il organise ses transports avec le plus grand soin. Comme il sait qu’il sera attaqué par surprise, il se garde avec des précautions sévères, et il déjoue en effet les tentatives de l’ennemi. Il est ferme et hardi autant qu’il est prudent. Il apprend que la colonne. Bonnier s’est laissé surprendre et il en recueille les restes le 2 février 1894. Mais il n’hésite pas avec sa petite troupe à se porter en avant, et, le 12 février, il entre à Tombouctou, après une marche de deux cents lieues. Il reçoit l’ordre de revenir ; mais il pense que son départ serait funeste, et il reste malgré les ordres. Il fortifie la ville et soumet le pays. Il a raconté cette campagne dans un rapport qui est surtout un modèle de clarté.

On a encore publié de lui deux discours, prononcés l’un en 1913, à la Société des anciens élèves de l’École polytechnique, l’autre à la Chambre, dans la discussion de la loi de trois ans. Ils ont le ton net de la voix qui commande. Ils sont logiques et solides.

Il y a dans l’armée française un assez grand nombre d’officiers qu’on pourrait croire plus près des lettres. et cependant voici qu’aux jours héroïques de la Marne, c’est bien le général Joffre qui a écrit deux pages immortelles, et que les plus grands écrivains seraient probablement incapables d’écrire, deux pages que tous les Français savent déjà par cœur, et qui seront répétées d’âge en âgé. L’une est l’ordre du jour qui arrive aux chefs de corps le 6 septembre au