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poètes. Il a l’art d’adapter exactement les moyens à la fin, qui fait les grands stylistes. L’Académie peut l’accueillir ; et j’ajoute que, pour la valeur de l’esprit et du caractère, elle n’aura pas toujours la fortune de trouver un pareil homme.


Celui qu’elle vient de recevoir est, au dire même de ceux qui l’aiment le moins, un de ceux qui comptent dans l’histoire. Mais c’est aussi l’un de ceux dont il est le plus malaisé de tracer le portrait. Il y a en lui du je ne sais quoi et une sorte de mystère. Les uns lui prêtent l’esprit offensif le plus déterminé, les autres mettent sa gloire à avoir élevé et défendu un mur infranchissable. Il est énigmatique comme tous les silencieux. On ne l’a jamais vu, à la fin des manœuvres, faire ces critiques éblouissantes où se développaient l’éloquence et l’ingéniosité d’autres chefs. Il se bornait souvent à déclarer qu’il n’avait rien à dire. Mais, par un don qu’on a vu manquer aux plus grands orateurs, il sait parler au soldat dont il est adoré. Dans un temps où il était attaqué dans les conseils, on n’osait pas toucher à lui, tant était grande la confiance qu’il inspirait à l’armée. Les hommes le savaient ménager de leur sang, et c’est un trait à sa gloire d’avoir refusé les réjouissances publiques qu’on proposait après la Marne, ne pensant point qu’on pût célébrer par des fêtes une victoire qui coûtait tant de deuils. Ceux même qui ont travaillé avec lui au Conseil supérieur de la guerre ne connaissent pas ses méthodes de travail, l’ayant toujours vu apporter des solutions qu’il avait élaborées sans témoins. Mais ils tombent d’accord qu’il excelle à voir un problème et à le résoudre.

Ces solutions qu’il discerne avec une intelligence si claire et si juste, il a pour les appliquer aux faits un caractère d’un prodigieux équilibre. Un témoin raconte que, dans les premiers jours de septembre 1914, au moment le plus tragique de la guerre, comme on le consultait sur un point de justice militaire, on le vit appliquer son esprit à ces questions de code avec la même sérénité et le même sang-froid que dans les temps les plus calmes. Pendant la bataille même, quand les dés étaient jetés et que le sort du monde se décidait, on dit qu’il lisait son journal dans son cabinet, avec une tranquillité d’esprit qui ressemble à la plus belle fermeté d’âme. On connaît la régularité de ses habitudes, et ce sommeil des grands capitaines, dont rien ne retardait le moment. C’est par ce sang-froid imperturbable qu’il s’est gardé, après Charleroi, de tout énervement, qu’il a