Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 44.djvu/213

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tout à la fois largement cédé le terrain et médité aussitôt la reprise d’offensive ; c’est ainsi encore qu’il a, au moment de la bataille de Guise, résisté à la tentation de livrer la bataille prématurément et que, renonçant aux lignes qu’il avait d’abord choisies, malgré de premiers succès, il ordonna le recul jusqu’à la Marne : aussi inaccessible aux conseils de la crainte qu’aux pièges de l’espérance, pesant tout, calculant l’heure, et inébranlable quand il l’avait entendu sonner.

Mais dans tout cela, il y a mieux que de la clarté de vues et de la fermeté de caractère. Cette tragédie d’août et de septembre 1914, avec son brutal premier acte, se déroule ensuite, à la vraie façon française, — commandée par l’esprit. L’ennemi vient précisément là où il craignait d’aller, sur une ligne tendue entre deux forteresses. Le piège se creuse devant lui. Il s’étend et se disloque, à mesure que l’armée française se resserre et se solidifie. Les deux armées changent de forme pour ainsi dire, et ces formes nouvelles sont imposées par une volonté, qui est celle du commandant français. Et quand cette transformation a atteint le point parfait, tout se porte en avant, et l’ennemi est culbuté : péripéties qui resteront comme un chef-d’œuvre classique.

Tel est l’homme. Il a sa place dans une Compagnie qui s’honore d’accueillir les premiers de la cité, et d’être une assemblée de ses gloires, bien plus qu’un bureau de faiseurs de livres. L’homme qui dans le désordre d’une action mal engagée a vu clair dans la situation la plus complexe que l’histoire connaisse, et qui a dit à tous ces flots divers de l’invasion accourant de tout l’horizon : « Vous irez jusqu’ici et pas plus loin, » cet homme-là est l’égal des plus grands. Ayant sauvé la culture française, il a sa place marquée dans le conseil des lettres françaises. Il prend rang entre les écrivains pour deux ou trois pages immortelles, qui dureront autant que la langue française. Il n’est pas nécessaire d’en avoir composé davantage, et le difficile était d’écrire celles-là. Que reste-t-il de plus, après quelques années, de l’auteur le plus fécond ?


HENRY BIDOU.