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références. Pour nous présenter Deburau, il a eu recours à un moyen ingénieux et j’allais dire : facile. Un des acteurs lit en scène un feuilleton de Jules Janin. Je note que depuis quelque temps on fait au bon J. J. beaucoup d’honneur. Chaque semaine, à son cours sur Dumas fils, M. Henry Bidou invoque, en confrère respectueux, le témoignage de son prédécesseur au rez-de-chaussée des Débats. Et voici qu’au Vaudeville on exhume un de ses feuilletons étincelans. Car ils passèrent pour étincelans, et, puisque les contemporains, qui nous valaient bien, les jugèrent tels, nous n’avons qu’à nous incliner. Nous songeons seulement, à part nous, que le goût peut avoir changé en un demi-siècle... Jules Janin fut de ceux qui découvrirent Deburau. Amoureux du paradoxe, — le paradoxe est la condition nécessaire d’une critique étincelante, — il distribua sans compter au pauvre Gaspard des louanges hyperboliques. Le snobisme, que nous n’avons pas inventé, se mit de la partie : pendant quelques années, la pantomime allait être à la mode et faire courir aux Funambules le Tout Paris blasé. Nous ne saurions nous en étonner, puisque nous avons été les témoins d’un engouement pareil, aux beaux temps de l’Enfant prodigue : la pantomime a retrouvé, il y a vingt ans, un regain de succès et nous avons pu juger par nous-mêmes que cet art n’est pas. un très grand art et, comme on dit, ne va pas très loin. Hélas ! nous ne prévoyions pas alors les folles destinées qui l’attendaient, et qu’il viendrait un temps où drame, comédie, et jusqu’aux pièces en vers, tout ne serait plus que pantomime. Mais le cinéma ne s’était pas encore déchaîné

Le Deburau de M. Sacha Guitry pourrait porter en sous-titre : grandeur et décadence d’un mime. Peu importe, du reste, pour l’intelligence de la pièce, que celui dont on nous conte l’heur et le malheur, soit mime ou comédien, chanteur ou pianiste ; rien ici n’est spécial à l’état de mime : il suffit que ce soit un artiste et qu’il connaisse tour à tour la faveur et les dédains du public. La pièce commence au moment où Deburau fait son entrée dans la célébrité, et voit briller pour lui ces premiers rayons de la gloire que Vauvenargues comparait aux feux de l’aurore. Le premier acte nous fait positivement assister aux débuts sensationnels de l’artiste, qui exécute sous nos yeux une pantomime triomphante. A cet effet, on a imaginé une curieuse mise en scène. Au premier plan, les tréteaux où Galipaux bat la grosse caisse et fait le boniment ; puis, vu de dos, le public des Funambules ; au fond, les planches où se joue la pantomime : un théâtre dans un autre théâtre, une autre