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sont redevenus ce qu’au fond ils n’avaient jamais cessé d’être : des Turcs, aussi Turcs que leurs aînés de la vieille Turquie, et d’autant plus décidés à conserver tout leur pouvoir qu’il leur permettait de satisfaire tous leurs appétits.

Mais il était impossible aussi que, devant l’impuissance des nouveaux maîtres de Constantinople à empêcher un commencement de démembrement de l’Empire, l’esprit de conquête ne gagnât pas, à l’exemple de l’Italie, les États des Balkans. L’occasion était trop tentante de s’agrandir aux dépens de l’Homme malade, dont le changement de régime, au lieu de le rajeunir, n’avait fait qu’accentuer la décrépitude. La libération des populations chrétiennes, victimes d’une recrudescence de rigueurs, était le motif très naturel d’une intervention armée, qu’on allait décorer du nom de croisade contre l’oppresseur musulman, pour la justifier aux yeux de l’Europe. Le succès dépendait avant tout de l’union des compétiteurs, séparés par des jalousies et des ambitions presque aussi vivaces que l’aversion qu’ils nourrissaient contre l’ennemi commun.

L’idée d’une union balkanique est une vieille idée, qui avait déjà germé quelque cinquante ans auparavant dans le cerveau d’un des chefs d’État vassaux du Sultan. J’ai dit déjà qu’elle avait été conçue par le prince serbe, Michel Obrénovitch. Rappelé sur le trône en 1860, bien secondé ou conseillé par son ministre Garachanine, il avait réussi à nouer des négociations secrètes avec un comité bulgare, réfugié à Bucarest, avec la Grèce, le Monténégro, voire avec la Roumanie, et contracté des alliances, dont le but était la création d’une grande Balkanie. Après avoir été l’âme de la confédération, il se réservait naturellement d’en être le chef suprême. Son assassinat mit à néant ses projets. L’Autriche-Hongrie, en attisant la jalousie de la Serbie contre la Bulgarie, la Sublime-Porte, en cultivant avec soin chez les chrétiens de la péninsule des bacilles de division et de haine, en autorisant l’érection d’une Église autocéphale bulgare, contre le patriarcat œcuménique, retardèrent de quarante ans le rapprochement des nations balkaniques. Cependant, en 1905, la Serbie et la Bulgarie avaient signé un traité secret visant, suivant toute probabilité, les réformes à obtenir en Macédoine. L’année suivante, un traité d’union douanière entre elles échoua devant l’attitude intransigeante du cabinet de Vienne qui ferma immédiatement ses