Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 44.djvu/302

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

du Nord-Est au Sud-Ouest, à partir de la frontière turco-bulgare jusqu’au lac d’Ochrida. Les revendications des Grecs étaient passées sous silence. A eux sans doute de s’entendre avec les Bulgares. Le lot le plus important, au Sud de la ligne adoptée, revenait à ces derniers. L’Albanie, pas plus que la Thrace, n’était mentionnée dans le traité. Les ambitions des deux alliés, encore modestes, ne visaient que la Macédoine.

Très suggestifs sont les articles de l’annexe secrète comportant la communication du traité au gouvernement russe, dont l’approbation était sollicitée, ainsi que l’engagement de soumettre tout différend causé par son interprétation ou son exécution à la décision définitive de la Russie. C’est la preuve de la part importante prise par la diplomatie russe à l’enfantement de l’alliance, qui eut le Tsar pour parrain et pour médiateur. Belle revanche de l’échec diplomatique de 1909. La Russie était donc reconnue par les deux États balkaniques comme la Puissance protectrice de leurs aspirations nationales. L’alliance avait sa pointe tournée contre la Turquie, mais elle était aussi une arme destinée à combattre l’expansion germanique en Orient, le « Drang nach Osten. » Témoins les articles 2 et 3 de la convention militaire, prévoyant diverses hypothèses : une attaque de la Bulgarie par la Roumanie, inféodée à la politique autrichienne, une attaque de la Serbie par l’Autriche-Hongrie ou la Roumanie, ou simplement une occupation du sandjak de Novi-Bazar par les Austro-Hongrois ou par les Serbes. Dans ces différens cas, les Alliés se promettaient une aide militaire immédiate. Toutes les précautions semblaient humainement prises pour empêcher la rupture d’un nœud si solidement établi.

Ainsi unis, les États chrétiens attendirent avec impatience, l’arme au pied, le signal de l’entrée en campagne. Par un étrange revirement, le cabinet de Saint-Pétersbourg, le patron, sinon l’instigateur de leur coalition, leur fit au dernier moment de vives recommandations de prudence. Mais ils n’en tinrent aucun compte. Lorsque, dans le courant d’octobre, les Monténégrins tirèrent les premiers coups de fusil, M. Sazonow, rentrant en Russie, se trouvait à Berlin, à l’hôtel Adlon, où j’habitais moi-même. J’ai été témoin de l’inquiétude et du désarroi que la nouvelle jeta dans son entourage. Le ministre des Affaires étrangères du Tsar, après avoir causé avec ses collègues de l’Entente, s’était-il tout à coup converti au principe de l’intangibilité