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la lâcheté et la trahison du roi Constantin étaient prêtes à leur livrer. Le point terminus de leur ruée a échappé à leur étreinte. Il convient de rendre hommage à la clairvoyance de M. Briand, qui a distingué sous les mensonges grecs un des principaux objectifs de la campagne germano-touranienne. Il faut mainte- nant conserver à tout prix Salonique. S’ils en étaient maîtres, les pirates austro-allemands le seraient aussi de la Méditerranée orientale, et l’on aperçoit distinctement les conséquences qu’aurait leur présence dans le port grec, pendant qu’ils continueraient de crucifier et de violer le corps palpitant de la Serbie indépendante.


VI

De même que les chanteurs errans ont perpétué sous le joug ottoman le souvenir des exploits des paladins serbes et des vengeances des haïdouks, de même plus tard la poésie populaire, qui jaillit en Serbie d’une source abondante et naturelle, se chargera d’immortaliser la valeur du roi Pierre, du prince héritier et de leurs soldats dans les campagnes de 1914 et de 1915. Des chansons magnifiques raconteront l’incroyable victoire de Kolubara et l’expulsion honteuse des Autrichiens qui se piquaient d’écraser les Serbes à eux seuls. Elles flétriront la félonie des Bulgares, traîtres à la cause balkanique ; elles feront pleurer les générations futures sur l’exode d’un peuple, contraint de s’ouvrir un chemin à travers la neige et la glace des défilés de l’Albanie. Elles exalteront le rôle des survivans de cette vaillante armée dans la reprise de Monastir. Elles provoqueront la haine et la pitié, en retraçant le martyre de la Serbie sous l’occupation autrichienne, les fusillades, les pendaisons, le régime de fer et de sang, par quoi les vainqueurs ont espéré vainement émasculer la race des vaincus.

Le gouvernement serbe, retiré à Corfou et à Salonique, au sortir de ces effroyables épreuves, n’a pas abdiqué ses aspirations nationales. La prolongation de la guerre, après la défection de la Russie, autorise-t-elle de pareils espoirs ? L’avenir nous le dira. Ils embrassent la création d’une Grande Serbie, baignée par l’Adriatique, tendant la main aux Yougo Slaves, délivrés eux-mêmes de la domination austro-hongroise. La fortune des armes ou l’épuisement de l’Empire dualiste