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qui les aidera dans leur première installation[1]. On n’aperçoit rien, dans notre société si parfaitement administrée, d’équivalent à ces charités plusieurs fois séculaires, se transmettant de générations en générations au profit d’étudians méritans et pauvres auxquels elles ouvrent toutes grandes les portes de l’avenir, ainsi relié au passé par des sentimens de gratitude et de vénération.

Quelle peut être l’existence entre ces écoliers déshérités de la fortune et ces brillans gentilshommes qui mènent sous le même toit un train de cour ? L’inégalité des conditions ne va-t-elle point susciter des jalousies ? Ne verra-t-on point morgue d’un côté, envie de l’autre ? Non point : « La camaraderie couvre tout. L’ordre social est alors si solidement, si naturellement établi par une longue tradition que jamais grandeur plus voisine, plus provocante, ne fut mieux supportée. » Les Montmorency, les Rohan, les Tavannes, les Duras, sont assis sur les mêmes bancs, à la chapelle, à l’étude et en classe, que les fils des artisans fournisseurs de leurs maisons. En ce temps lointain, toute profession a son costume et tout enfant adopte l’habillement de son père ; donc, différence totale de la toilette parmi les condisciples ; les uns sont vêtus de gros drap ou de futaine ; ils portent des bas de laine ou de fil, suivant la saison ; leurs manchettes sont de simple mousseline et leurs jabots sans broderie ; — les autres ont des justaucorps de satin pailleté, à larges basques, ou de brocart à fleurs, dentelles précieuses aux poignets et au col, la jambe moulée dans un étui de soie, et des escarpins à talons blancs. En certaines circonstances seulement, les apparences s’égalisent sous « la robe du collège, » espèce de tunique sans manches qui se passe par-dessus l’habit. En dépit de cette diversité qui paraît choquante à notre sotte susceptibilité égalitaire, point de rancunes accumulées d’une part, nul dédain de l’autre : ni roturiers, ni nobles, ni pauvres, ni riches, ne sont gênés de la promiscuité quotidienne. Ceux-là même qui, plus tard, pour l’abattre, secoueront avec le plus d’acharnement le vieux monde, n’élèveront pas une critique contre ce pêle-mêle dont, modestes boursiers, ils n’ont pas été humiliés. Ni le fiel accumulé de Robespierre, ni la verve débridée de Camille n’auront un mot d’amertume pour les souvenirs

  1. La gratification de Robespierre, en date du 19 juillet 1781, fut de 600 livres. J.-A. Paris, ouv. cit., p. 28.