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Si l’on pénètre dans les institutions consacrées à cette même époque à l’instruction des jeunes filles, on trouve une discipline plus stricte à certains égards, mais aussi le même respect de la personnalité, le même souci d’une formation intellectuelle spontanée, et encore une indulgence d’avance acquise à l’esprit frondeur et aux velléités d’indépendance. Un exemple tout d’abord : à l’Abbaye-aux-Bois, maison aristocratique et qui ne compte que des élèves nobles, une révolte éclate : refus d’obéissance, meubles brisés, barricades, ultimatum présenté aux maîtresses par les insurgées : elles menacent Mme de Rochechouart, la directrice, de s’emparer, par force, de Mme Saint-Jérôme, — une surveillante détestée, cause de l’émeute, — et de la fouetter « aux quatre coins du couvent. » Tout s’apaise bientôt, le calme règne ; mais, quelques jours plus tard, une pensionnaire sollicite de cette même directrice je ne sais quelle faveur : « Moi, je n’étais pas de la révolte, » insinue-t-elle pour se faire valoir. « Ah ! vraiment ! Je vous en fais bien mon compliment ! » riposte sèchement Mme de Rochechouart ; et, lui tournant le dos, elle la congédie sans l’entendre[1].

Ce n’est point que les éducateurs du vieux temps favorisent le désordre ; mais il me paraît qu’ils redoutent, comme un achoppement à leur tâche, l’excès de subordination. Cette tâche consiste à développer le caractère des enfans plutôt qu’à le façonner ; ils respectent les impulsions de chacun de leurs élèves, ses inclinations, ses caprices mêmes : ce ne sont pas des plantes de serre qu’ils cultivent, en caisses, sous verre, toutes pareilles et bien alignées, mais des fleurs des champs et des bois qu’ils laissent croître librement, en se contentant d’écarter d’elles l’ivraie ou les parasites dangereux. De là, peut-être, cette infinie variété de types, de goûts et d’aptitudes qui se constate chez nos ancêtres ; de là cette collection d’originaux que, pour la grande joie du lecteur, on voit passer dans les Mémoires du temps.

De cette même Abbaye-aux-Bois le régime paraît si singulier à notre jugement actuel qu’il nous semble relever du

  1. Marquis de Ségur, Esquisses et récits, p. 182.