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Resterait à connaître les résultats de si grands efforts : au point de vue de l’instruction proprement dite, ils étaient minces sans doute : tandis que leurs frères n’approfondissaient que l’histoire de l’antiquité et les langues anciennes, les filles de la noblesse et de la bourgeoisie étudiaient le clavecin, la harpe, la danse, le dessin et la déclamation. Quand une demoiselle ayant terminé ses classes savait assez bien la mythologie et pouvait réciter de mémoire quelques passages du poème de la Religion, des Fables de La Fontaine, un chant ou deux de la Henriade et la tragédie d’Athalie, on se déclarait très satisfait. De science, point ; d’histoire ancienne ou d’histoire de France, quelques prudentes lectures sévèrement choisies. Les institutrices suivaient à la lettre le principe de Fénelon disant du cerveau des jeunes personnes : « On ne doit verser dans un réservoir si petit et si précieux que des choses exquises. » Cette parcimonie de connaissances n’était pas due à l’insouciance ou à la légèreté des parens et des maîtres : il faut y voir « un plan préconçu et l’application d’un précepte. » Le XVIIIe siècle professait l’horreur des pédantes : « Les savantes sont des pestes ! » s’écriait avec répulsion l’excellent abbé de Saint-Pierre, auteur d’un grave traité de pédagogie féminine[1] ; et Rousseau, tant écouté alors, avait renchéri : « A-t-on jamais vu que l’ignorance ait nui aux mœurs ? »

« Eh ! quoi ? diront nos bachelières, pas même l’orthographe ? » Non ! La majorité de nos bisaïeules et bon nombre de nos arrière-grands-pères se souciaient, aussi peu que Martine, des relations du participe avec son complément et n’avaient jamais tenté de percer le mystère des verbes à double radical. Était-ce un mal ? La question est discutable, puisqu’elle a été discutée, et que Gaston Paris, écrivant la préface d’une grammaire, décochait cette boutade, inattendue en pareille place : « On jette des regards pleins d’étonnement et presque d’effroi sur l’époque barbare où on n’apprenait pas la grammaire française ; on oublie seulement que c’est l’époque où ont vécu les meilleurs auteurs de notre langue, et que ces « femmelettes » du temps de Louis XIV, dont Courier disait qu’elles écrivaient mieux que les plus habiles de notre temps, n’avaient jamais appris un mot de grammaire, non plus, d’ailleurs, que

  1. Marquis de Ségur, L’Éducation des filles, conférence faite à la Ligue de l’Action sociale de la femme.