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L’éducation des jeunes princes d’Orléans donne aussi matière aux bavardages et soulève presque un scandale. Le Duc les a confiés à une amie très chère, Mme de Genlis ; et celle-ci a elle-même été élevée de façon à ne jamais croire qu’elle pût devenir une imposante éducatrice. Alors qu’elle était enfant, son père lui donne pour institutrice une danseuse, Mlle Mion, qui s’enivre. Mlle Mion, remerciée, est remplacée par un danseur qui est en même temps maître d’armes et qui enseigne l’escrime à son élève. Pour parfaire ses études, Mlle de Mars, sa gouvernante, l’initie à l’abrégé d’histoire du P. Buffier ; mais au bout de huit leçons, le livre est jugé trop ennuyeux par le professeur et par l’écolière qui, d’un commun accord, donnent la préférence au roman de Clélie et aux pièces de théâtre. Ceci conduit à jouer la comédie ; l’enfant remplit le rôle de l’Amour : son costume est si joli, — habit couleur de rose, recouvert de dentelles parsemées de petites fleurs artificielles, le tout ne venant qu’aux genoux, — que le père décide qu’elle n’en portera plus d’autre : elle aura un habit d’amour pour les jours ouvrables et un habit d’amour pour les dimanches et fêtes. Et on la rencontre au loin dans la campagne, en bottines « paille et argent, » des ailes bleues au dos, les cheveux au vent, un collier de fausses pierres au cou, un carquois à l’épaule et un arc à la main, — à moins qu’elle ne tienne dans ses paumes fermées des araignées ou des crapauds, bêtes pour lesquelles elle éprouve une répulsion justifiée que ses parens l’obligent à vaincre…

Jugez jusqu’à quel point les vocations triomphent des efforts les plus soutenus : cette fille à qui l’on a appris la danse, le piano, le chant, la harpe, les armes, l’art dramatique et la façon des fleurs artificielles, ne reçoit jamais une leçon d’écriture. Elle passera néanmoins sa longue vie à écrire ; elle sera l’auteur d’un nombre redoutable de volumes qui, tous, traiteront des plus graves questions d’éducation et de la manière de s’y prendre pour élever sérieusement les jeunes filles et les préparer aux épreuves de la vie[1] !

C’est donc à cette inspirée que M. le Duc d’Orléans s’en remit d’acheminer ses filles et ses fils vers leurs hautes destinées, et ce qui étonnera davantage, c’est qu’elle y réussit à miracle : soit

  1. Mémoires de Mme la comtesse de Genlis, I, 23 et suiv.