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que, avec leur instinct de jeunes Français affinés, ils eussent tôt senti tout le ridicule de leur éducatrice et que leur personnalité les eût mis en garde contre tant d’innovations ; soit que, doués de cet esprit d’opposition qui fermente en chacun de nous, ils eussent pris au contre-pied la masse écrasante de préceptes et de maximes que la sémillante matrone leur avait inculqués, le roi Louis-Philippe et sa sœur Madame Adélaïde se montrèrent, au cours de leur vie tourmentée et semée d’écueils, pratiques, équilibrés, méthodiques, réfléchis, toutes qualités dont Mme de Genlis n’avait jamais possédé aucune. Elle avait entrepris, pour sa plus grande gloire, de les conduire à la perfection par un chemin encore inexploré et si semé de casse-cou, que jamais autre précepteur n’eût osé y engager ses élèves : elle attachait à chacun des pieds du jeune Duc de Montpensier un poids de 23 livres, le suspendait par les mains à une barre fixe et l’obligeait à lever alternativement et à étendre les jambes. M. de Beaujolais portait des seaux d’eau pesant 92 livres bien comptées. On ne peut savoir tout le bien que ces deux jeunes princes retirèrent de cette gymnastique, car ils moururent jeunes, apparemment avant que la méthode eût donné tout son profit. En ce qui concerne le Duc de Chartres et sa sœur, il est manifeste que le régime fut à l’une et à l’autre très favorable. Mme de Genlis imagine, afin de les rompre à la fatigue, de les chausser de bottes à semelles de plomb : chacun des souliers du futur roi des Français pèse une livre et demie, ce qui ne l’empêche pas de fournir des courses, d’exécuter des sauts, et de parcourir trois ou quatre lieues à pied, d’un pas rapide et sans repos. Les brodequins de Mlle d’Orléans pèsent deux livres : elle ne les quitte que pour danser.

On organise dans le jardin de Bellechasse, antre de cette éducation régénératrice, des courses de vitesse et des courses d’haleine : à douze ans, la petite princesse court durant une lieue « exactement mesurée ; » et tout ceci est excellent, encore que les bonnes gens s’effarent de cet inédit. Il y a, à Bellechasse, un maître danseur de corde, « exercice, note judicieusement Mme de Genlis, qui apprend à marcher avec sûreté et adresse dans les sentiers les plus étroits et les plus escarpés ; » on interrompt les leçons, on se lève, on met aux épaules des élèves une lourde hotte, on monte, on descend, ainsi chargé, plusieurs étages ; M. de Chartres arrive à porter de la sorte