Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 44.djvu/351

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Votre Majesté me pardonne de lui parler aussi franchement-

— Dites tout ce que vous avez sur le cœur, reprit l’Empereur. :

— Eh bien ! Sire, j’ose supplier Votre Majesté de calmer ces premiers mouvemens, et au lieu de ne consulter que le sentiment qui l’agite maintenant, d’avoir égard aux conseils d’une raison plus calme. Je ne m’alarme pas encore de ce que j’entends, parce que je pense, avec toute l’Europe, que Votre Majesté a non seulement un cœur noble et généreux, mais encore un esprit judicieux et éclairé. Elle sentira que le Roi a dû accepter la couronne qui lui était offerte, et que, sans cette détermination, tout était à craindre de l’agitation qui régnait dans Paris.

Développant sa pensée, le chargé d’affaires de France rappelait à l’Empereur ce qu’il lui avait dit dans les audiences précédentes, alors que les suites de la révolution restaient encore indécises, sur la nécessité de sauver le principe monarchique en soutenant le prince qui, désormais, en France, pouvait seul le représenter. Si ce prince devenait le dernier retranchement contre le désordre et l’anarchie républicaine, la dernière garantie du repos général, serait-il sage, pour reprendre le terrain perdu, de compromettre celui qui resterait ? Bourgoing ne rétractait aucune de ses paroles. Il regrettait amèrement que le vieux Roi, aveuglé par ses illusions et des conseils funestes, eût provoqué lui-même cette secousse terrible, et le prince qui portait maintenant la couronne ne déplorait pas moins les malheurs qui avaient coûté la vie à tant de Français. Mais, si douloureux que fût ce passé, n’était-ce pas l’avenir qu’il fallait maintenant envisager ?

— Le principe de la légitimité, répéta l’Empereur, doit nous guider tous en ce moment ; il est la base de l’ordre social.

— Mais ce principe est-il immuable, reprit Bourgoing, applicable à tous les pays, à tous les temps, à toutes les circonstances ? Quel est le souverain de l’Europe qui peut dire que non seulement dans les temps passés, mais même de nos jours, et dans sa propre histoire, on ne trouve pas d’innombrables démentis donnés à ce principe ? L’Angleterre est-elle riche, forte et tranquille ? Est-elle reconnue par toute l’Europe ? Et cependant ce principe inflexible est-il d’accord avec les changemens qu’a dû y subir l’ordre de succession ?

— Ce n’est point moi qui l’ai reconnue, s’écria l’Empereur, je ne réponds point de ce qui ne m’est pas personnel.