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— Non, Sire, ce n’est point Votre Majesté ; mais c’est Louis XIV, neuf ans après le changement de dynastie en Angleterre.

— Mais après combien d’efforts, Louis XIV s’est-il décidé à cette reconnaissance !

— Oui, Sire, il a fait de grands efforts, et l’Europe n’en fera aucun, parce qu’ils seraient inutiles et dangereux ; mais après avoir épuisé sa résistance, ce grand Roi a fini par revenir sur ce qu’il avait d’abord avancé : il a dû céder à la nécessité de la paix, du repos général, intérêt plus puissant que celui d’un principe abstrait. Votre Majesté, comme toute l’Europe, devra s’y résigner également. Pourquoi donc se lier inutilement pour se préparer les embarras d’une rétractation ? L’auguste frère de Votre Majesté, l’empereur Alexandre, dont les Français conservent la mémoire, parce qu’au milieu des malheurs d’une invasion, ce fut lui qui éleva la voix en faveur de la France, l’empereur Alexandre lui-même n’a-t-il pas exprimé hautement, en 1814, qu’il venait avec ses armées protéger la liberté de nos décisions ? La déclaration du prince Schwartzenberg, en date du 31 mars, ne disait-elle pas en propres termes : « Que Paris se prononce, et l’Europe en armes devient le soutien de ses décisions ? » Le Sénat ne déclara-t-il pas ensuite textuellement, le 2 avril, que la France appelait librement au trône le roi Louis XVIII ? Ce que les souverains réunis ont fait et dit alors, cesseront-ils de le trouver équitable et vrai, seize ans plus tard ?

— Je ne sais encore ce que nous ferons, reprit l’Empereur, mais certainement je dirai mon opinion aux autres souverains de l’Europe. Le comte Alexis Orloff doit la porter sous peu à Vienne. Je l’ai écrite hier à Guillaume (son beau-frère, le prince d’Orange), et le roi de Prusse, qui me la demande, ne tardera pas à la recevoir. Nous ne vous ferons pas la guerre ; acceptez-en la certitude ; mais, si nous reconnaissons jamais ce qui existe chez vous, ce ne sera qu’après nous être concertés.

— Eh bien ! Sire, que résultera-t-il d’un Congrès pareil ?

— Il ne s’agira point de Congrès ; nous avons d’autres moyens pour tomber d’accord que de nous réunir.

— N’importe, Sire, comment s’exprimera ce refus de reconnaissance ? Les Puissances feront-elles une déclaration ? Qu’elles y prennent garde : une guerre de plume avec la France est