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aussi dangereuse qu’une guerre à coups de canon. Ce principe de légitimité, qui sera invoqué et qui vous est cher, gagnera-t-il beaucoup dans le respect des peuples à être analysé, disséqué par nos écrivains, à être combattu par la puissance de tant d’exemples récens ? Les publicistes de M. de Metternich sont-ils de force à se mesurer avec les nôtres ? Sera-ce l’Allgemeine Zeitung, par hasard, qui prétendra diriger la tendance des esprits ? La France intellectuelle est aussi forte que le serait la France armée. N’irritons ni l’une ni l’autre. N’en doutez point. Sire, devant le tribunal de l’Europe attentive, les défenseurs de ce dogme seront pulvérisés ; car, il ne faut point se le dissimuler, Sire, l’universalité de notre langue et l’habileté de nos écrivains nous rendent les maîtres de l’opinion de l’Europe.

Piqué au vif, l’Empereur se redressait :

— Croyez-vous que j’aie peur de cette guerre de plume ? A une pareille distance de vous, ne suis-je pas tout à fait à l’abri ?

— Oui, Sire, je connais la puissance et la force de votre immense Empire ; aucune agression matérielle n’est possible. Mais si une attaque morale est également peu à craindre à huit cents lieues, pourquoi redouter, à cette immense distance, ce que Votre Majesté appelle un mauvais exemple ?

La question restant sans réponse, Bourgoing recourut à d’autres argumens. Il fit valoir l’appui que la nouvelle royauté recevait en ce même moment de la presse britannique, ce qui permettait de prévoir qu’abandonnée ou menacée par les cours du Nord, la France pourrait compter sur l’alliance anglaise. Cette perspective impressionnait l’Empereur ; il déclara que « l’amitié et l’alliance de notre pays lui étaient chères, parce qu’il les croyait fondées sur la force des choses, sur l’absence de toute cause de rivalité, sur la communauté d’intérêts et sur l’analogie des caractères nationaux. »

— Alors, Sire, ne nous jetez pas dans l’alliance anglaise, reprit Bourgoing. Que Votre Majesté se rappelle que les Français se sont toujours montrés ses amis.

Touché par ces paroles, l’Empereur tendit la main au chargé d’affaires et dit :

— Je vous répète, mon cher ami, que je ne prendrai aucune détermination isolée ; mais, suivant mon invariable coutume,