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je dirai ma pensée tout entière. Quant à ce que nous ferons, j’attendrai pour le décider l’avis des autres Puissances, et je coordonnerai ma marche avec la leur.

— Mais, Sire, c’est à Votre Majesté qu’appartient l’initiative ; tous les souverains se tournent vers Elle pour lui demander conseil ; c’est de sa volonté que tout dépendra. Oui, Sire, c’est vous qui déciderez de la guerre ou de la paix.

— Nous ne vous ferons pas la guerre, et vous ne voyez rien chez moi qui annonce pareille intention.

— Alors, qu’on se garde de nous offenser par quelque déclaration hautaine qui nous mettrait à tous l’épée à la main.

— Soyez sûr que je ne ferai rien que de concert avec l’Europe, reprit l’Empereur.

C’est à cette formule qu’il en revenait toujours, surpris peut-être par le langage du jeune diplomate qui osait lui tenir tète, sans se laisser intimider par la majesté impériale. Comme s’il n’eût su que répondre aux raisons qui condamnaient son intransigeance, Nicolas les écoutait en simulant une bienveillance que démentaient son attitude arrogante et son orgueil d’autocrate, accoutumé à voir tout trembler devant lui.

Cependant parfois, dans cet entretien qui se prolongea longtemps encore, lui échappaient des propos révélateurs de son trouble intérieur et de son désir de rassurer après avoir menacé. Bourgoing ayant exprimé la crainte que l’Autriche ne profitât des circonstances pour susciter des embarras au gouvernement français :

— Ne redoutez aucune agression de sa part, objecta l’Empereur ; je sais déjà qu’elle tremble pour elle-même.

— Nous ne sommes cependant une menace pour personne, fit remarquer le chargé d’affaires. Le gouvernement français sera pacifique, uniquement occupé d’une prospérité dont l’éclat croissant suffit à son ambition. C’est seulement dans le cas où les souverains s’allieraient contre nous que nous serions contraints de chercher notre appui parmi les peuples.

A cette déclaration, il ajouta que si le comte de La Ferronnays et le duc de Mortemart étaient à sa place, ils ne tiendraient pas un autre langage que le sien. L’Empereur reconnut que c’était vrai et avoua qu’en écoutant son interlocuteur, c’est eux qu’il avait cru entendre. Mais, il n’en restait pas moins défiant envers le gouvernement de Louis-Philippe. Il le croyait incapable