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tête des troupes. Avec tous les ménagemens nécessaires, Orloff devait, faire entendre au grand-duc que les circonstances lui imposaient une retraite momentanée. Comme l’état actuel des esprits dans presque toute l’Europe rendait inopportun un voyage à l’étranger, comme, d’autre part, sa présence à Saint-Pétersbourg présenterait en un tel moment de graves inconvéniens, l’Empereur lui conseillait de se retirer dans l’une des provinces méridionales de la Russie et mettait à sa disposition la maison de campagne bâtie par le tsar Alexandre à Batchi-Saraï, sur les bords de la Mer-Noire.

Au moment où l’envoyé impérial quittait la capitale pour remplir cette mission délicate, le maréchal Paskéwitz y arrivait à l’improviste, rappelé du Caucase pour prendre le commandement suprême des troupes envoyées contre les rebelles. Choisies parmi celles qui avaient fait la guerre de 1828 contre les Turcs, elles formaient un corps d’élite considérable où figuraient les cosaques du Don, la garde impériale, infanterie et cavalerie, les chevaliers-gardes, toute une armée redoutable, non que Nicolas crût à la nécessité d’un tel déploiement de forces pour écraser l’insurrection, mais parce qu’il espérait que, devant des mesures énergiques, le mouvement séditieux s’arrêterait, illusion passagère qui serait devenue dangereuse si elle se fût prolongée, mais qu’il ne conserva que durant peu de jours.

Il complétait les précautions militaires par des démarches diplomatiques auprès des grandes cours, afin de les convaincre de la légitimité de son attitude. Le succès de ces démarches étant assuré à Vienne et à Berlin, il les poursuivait plus activement à Paris et à Londres. Il savait que le gouvernement provisoire de Pologne s’était adressé à l’un des membres les plus influens du cabinet français pour faire valoir ses titres non pas seulement à l’appui moral, mais aux secours effectifs de la France. Après avoir évoqué les souvenirs de gloire commune et de fraternité d’armes de vingt années, les Polonais avaient demandé si la France les laisserait succomber dans une lutte inégale, entreprise tout entière dans ses intérêts.

« Voilà deux fois, avaient-ils ajouté, que nous nous sacrifions pour vous, Français ! Nous détournons maintenant l’orage qui allait fondre sur vos têtes : laisserez-vous tomber les nôtres sous le glaive vengeur des Russes ? »

Bien qu’il fût difficile de comprendre en quoi l’insurrection