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Heureusement la puissance de production du pays peut être effectivement augmentée, par l’adjonction d’individus des deux sexes qui jusqu’ici ne comptaient pas dans la classe des travailleurs manuels. « Il faut, disait récemment à New-York un grand financier, que de nouveaux bras prennent leur part de la tâche commune, que les bras antérieurement employés abattent plus de besogne et que, tous, nous dépensions moins. »

Imposer à tout un peuple un tel plan de mortification, c’est à peine si le roi de Ninive, influencé par le prophète Jonas, l’avait osé faire. Encore n’était-ce que pendant quarante jours et il s’agissait du salut de la cité. Or, il s’agit ici d’un temps de pénitence dont nul ne saurait prévoir le terme ; et c’est le peuple le plus libre de la terre et le plus jaloux de sa liberté qui, n’étant menacé d’aucun danger et n’ayant rien à craindre de personne, se met volontairement au régime des privations, — des jours de jeûne ont été prescrits, — pour le seul triomphe de la justice.

Que ce manque de bras, cette rupture soudaine d’équilibre entre l’offre et la demande de travail, suscite les appétits des salariés et, par contre-coup, occasionne des grèves plus nombreuses et de plus grande variété qu’il n’y en avait jamais eu, qui pourrait s’en étonner ? Des centaines de nouvelles mines de charbon viennent d’être ouvertes ; de nouveaux champs ; sur de vastes territoires, ont été ensemencés en blé d’hiver ; d’énormes chantiers de constructions navales et des usines improvisées s’arrachent les simples manœuvres ; les bras abandonnent les industries textiles pour aller s’embaucher aux munitions. A la fin de la dernière grève de 30 000 forgerons de navires, qui eut lieu à San Francisco en septembre et qui suspendait les constructions en cours, les grévistes prirent soin de spécifier que, s’ils acceptaient provisoirement une paie de 5 et 6 dollars seulement pour la journée de huit heures, c’était uniquement par patriotisme ; 12 000 ouvriers métallurgistes faisaient grève en même temps à Seattle, sur le Pacifique, et 10 000 matelots sur les Grands Lacs. Le Sud, pour la cueillette du coton, le Nord, pour la récolte du maïs, étaient si à court de main-d’œuvre que l’on dut suspendre, pour favoriser la venue des manœuvres mexicains, la loi sur l’immigration qui interdit l’entrée des États-Unis aux étrangers illettrés ou liés d’avance par un contrat écrit ou oral.