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j’avais dans mes mains le bienfait de la foi, je les ouvrirais toutes grandes sur mon pays. Pour ma part, j’aime cent fois mieux une nation croyante qu’une nation incrédule. Une nation croyante est mieux inspirée, quand il s’agit des œuvres de l’esprit, plus héroïque même, quand il s’agit de peindre sa grandeur. » Qui avait dit cela ? Qui avait pensé qu’athéisme et servitude vont de compagnie ?… M. Thiers, auquel Mgr Dupanloup envoyait son Avertissement.

Aussi, l’évêque ajoutait-il : « Je m’étonne moi-même de mes paroles. D’autres que moi auraient dû vous les adresser et défendre énergiquement la cause que je défends. Il y a pourtant des philosophes en France. Est-ce que la saine raison, pas plus que la vraie liberté, ne trouveront pas de défenseurs parmi nous ? Est-ce qu’on me laissera parler seul ? Car c’est enfin la Raison que je défends plus encore que la Religion, la Raison, la Foi laïque qu’on a abandonnée… Eh bien ! moi, je parlerai pour elles, puisque nul ne parle, et je sens que j’ai bien fait. Je suis évêque, non pour me reposer, mais pour avertir ceux qui ont besoin d’être avertis… Quelle que soit la véracité douloureuse de mes accens, ceux que je combats sentiront, je l’espère, à ma douleur même, que je ne poursuis que leurs doctrines. Pour eux, je les plains ; leur malheur est affreux. Je donnerais ma vie pour leur rendre la lumière qu’ils ont perdue et le jour où ils reconnaîtraient que tant de travaux, de talens réels et de grands efforts auraient été mieux employés à servir Dieu, à défendre l’âme, la conscience, l’immortalité, la religion, ce jour-là j’éprouverais une des joies les plus pures et les plus profondes qu’une âme vouée au service de la Vérité et des âmes puisse goûter sur la terre ! »

Ne se contentant pas de remettre sa brochure à M. Thiers, l’infatigable évêque lui adressa une nouvelle lettre le 18 avril, ainsi conçue :


« Monsieur,

« Pour la première fois depuis bien des années, je vous ai quitté ce matin avec le chagrin de n’être pas d’accord avec vous ; et pourtant je me dis que, jeudi prochain, au moment où nos mains écriront des votes dissemblables, nos esprits penseront, croiront, voudront la même chose. Le désaccord ne sera ni profond ni durable.