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un vote favorable à l’élection de Littré, malgré les graves motifs fournis par l’évêque pour combattre cette candidature :


« Monseigneur,

« Je suis très affligé de la lettre que vous m’avez fait l’honneur de m’écrire, car rien ne peut m’être plus pénible que de vous causer un chagrin. Vous connaissez mon sincère et respectueux attachement pour votre personne, et si j’avais pu croire que la candidature de M. Littré vous désolerait jusqu’à vous faire regretter d’être de l’Académie française, je n’aurais pus accueilli cette candidature.

« Mais l’opposition qui s’élève contre M. Littré est vraiment trop tardive et surtout beaucoup trop exagérée dans ses griefs.

« Les promoteurs les plus décidés de la candidature de M. de Carné avaient offert spontanément leurs voix à M. Littré et avaient laissé adopter, sans une objection, l’idée de nous adjoindre le plus savant grammairien de notre temps dans la connaissance des origines de la langue française. On disait bien que M. Littré était membre d’une secte, à mon avis fort sotte et très sincèrement peu influente. Mais aux origines religieuses très regrettables du nouveau candidat, on oppose sa vie exemplaire consacrée tout entière à l’étude et aux devoirs de famille. De tout cela il était résulté pour M. Littré une candidature très pou combattue, à laquelle le public s’est tellement habitué qu’il trouverait aujourd’hui fort mauvais qu’on y renonçât. Le public attribuerait ce changement à une intolérance qu’il ne sied point à l’Académie d’affirmer. Quand elle a nommé MM. de Falloux, Lacordaire, Albert de Broglie (ce dont je l’approuve fort, puisque j’ai voté avec elle), elle doit pouvoir voter pour M. Littré, surtout lorsqu’elle a de son savoir philosophique un besoin si urgent. Faire un dictionnaire et n’avoir pas M. Littré avec soi, ce serait un non-sens.

« Je déplore plus que personne les opinions religieuses de M. Littré, mais je ne m’en fais pas garant, pas plus que l’Académie ne s’est constituée garante des opinions de MM. d’Alembert et Laplace.

« L’Académie doit représenter le génie français dans sa diversité, sa liberté, son indépendance, sans prétendre représenter ni un parti, ni une opinion, ni même une religion, quelque respectable ou vénérable que soit cette religion. Elle