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renfermait dans le XVIIIe siècle Massillon et d’Alembert. Elle doit en faire autant aujourd’hui d’honnêtes gens, gens d’esprit autant que possible, illustres quand ceux-là se rencontrent, et toute exclusion, quelque fondée qu’elle soit, serait, de notre temps surtout, imprudente et dangereuse. Ajoutez qu’il faut en général que le successeur puisse parler, non sans quelque compétence, du prédécesseur, et M. de Carné, que j’aime d’ailleurs, serait très embarrassé de célébrer le physicien et astronome Biot. Le traducteur d’Hippocrate me semble plus en mesure de suffire à cette tâche. J’aimerais mieux qu’il n’eût pas traduit Strauss, mais je nomme l’honnête homme auteur de notre Dictionnaire français, et je ne garantis que lui. D’ailleurs, j’ai fait comme beaucoup de mes confrères, j’ai promis ma voix à M. Littré, lorsque sa candidature était presque universellement acceptée. Telles sont mes raisons, et il faut qu’elles soient assez fortes pour me donner le courage de résister, — en vous résistant, — à une amitié qui m’est chère, dont je m’honore et que j’espère continuer à mériter toute ma vie.

« Agréez, Monseigneur, le nouvel hommage de mon dévouement respectueux.

« Ad. Thiers. »


Cette lettre n’a pas de date et elle porte en marge ces trois mots : « Lettre non expédiée. » Mgr Dupanloup ne l’a donc point connue, mais on peut affirmer que tous les argumens invoqués par M. Thiers dans cet écrit avaient, du reste, été donnés par leur auteur dans les divers entretiens qu’il avait eus avec l’évêque d’Orléans.

Le jour du vote arriva. C’était le 23 avril 1863. On peut affirmer que tout Paris avait ce jour-là les yeux fixés sur l’Académie, attendant avec impatience le résultat de ce scrutin destiné à être mémorable. Au troisième tour, le comte de Carné obtint 18 voix, Littré 12. Il y eut 4 bulletins blancs. Le duc de Broglie, Thiers, Mignet et Rémusat, Sainte-Beuve, Mérimée, Auger, S. de Sacy, Lebrun, de Pongerville, Ponsard et Berryer avaient voté pour Littré. Ampère s’était décidé à voter contre lui au troisième tour. À peine le comte de Carné était-il élu que Mgr Dupanloup écrivait la lettre suivante qui fut aussitôt portée à M. Littré.