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vent qui passe par les fenêtres est tout chargé et étincelant de paillettes de givre qui envahissent la salle d’une poussière argentée, et le grand poêle noir, vide, ironise au milieu de la chambrée.

Le jeune médecin allemand, qui a notre baraque dans son service, a renoncé à tout examen des malades. Empaqueté dans son manteau, le nez dans son col de fourrure, les mains aux poches, chaque matin il passe vivement, traînant son sabre, entre les rangées de lits. Un vague regard aux tableaux de température et, automatiquement, il prescrit les tablettes d’aspirine aux uns et aux autres. C’est le remède universel, et avec les compresses d’eau froide, la panacée infaillible employée dans tous les lazarets allemands. Compresses ! compresses ! Mais par cette température extravagante, il n’en saurait être question. Dans l’armoire aux médicamens, où on ne trouve guère que de l’eau oxygénée et une potion à base de réglisse et d’ammoniaque pour ceux qui toussent, tout a gelé et éclaté, jusqu’à une petite bouteille d’alcool. ; Reste l’aspirine : ersatz, bien entendu.

Nous sommes à la mi-février. L’an dernier, la commission des médecins suisses est passée dans les camps vers le milieu de mars ; elle est passée de nouveau en octobre. Pourquoi, cette année, ne reviendrait-elle pas ? Ce serait à peu près tous les six mois. Le bruit court qu’elle reviendra : ce n’est qu’un bruit, hélas ! un on dit…

La commission suisse ! Tous les yeux, brûlans de fièvre, sont pleins de cette vision. Tous les moribonds luttent farouchement avec cet espoir au cœur. Oh ! ne pas mourir ici, après tant de souffrances si longues, si inutiles ! Mourir, s’il le faut, mais auparavant quitter l’Allemagne, retrouver des sourires, des gestes doux qui allègent les angoisses suprêmes, revoir les « siens, » ne pas partir sans avoir reçu un dernier baiser !...

Le froid diminue, et enfin nous touchons la valeur d’un seau de charbon par jour, juste de quoi dégeler un peu l’atmosphère vers midi, et fondre la glace du plafond et de nos couvertures... Comme toujours, pendant de si terribles secousses, on a résisté, résisté ; puis après, dans la réaction de la détente, les plus faibles sombrent ; deux sont morts cette nuit, dans la salle voisine. Les pauvres corps aplatis sur les brancards sont passés au pied de nos lits, vers la salle d’autopsie :