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anciens en captivité. Des mesures spéciales d’internement en Suisse seraient prévues pour ceux qui sont malades, auraient été en représailles, ou n’auraient jamais été visités par des commissions médicales suisses. Les imaginations travaillent, les espoirs s’exaltent, nous battons la campagne…

Je fais maintenant de petites sorties dans le lazaret, de gros sabots aux pieds, en uniforme de malade : pantalon long et redingote à longues basques, en toile rayée bleu.

Mai. — Nous ne pouvons pas y croire ! Les visites suisses vont reprendre. Une centaine d’entre nous, désignée pour l’internement par les médecins allemands, passera la visite médicale à Constance. Dans vingt-quatre heures, nous aurons quitté le camp pour… Afin de se calmer, il faut envisager l’éventualité d’un échec possible, s’imaginer surtout le triste retour dans un camp, sans espoir désormais… Et puis, il y a les camarades qui restent, nous regardent faire nos préparatifs, nous souhaitent bonne chance, avec des regards éloquens où nous retrouvons la muette et navrante expression d’envie avec laquelle nous-mêmes nous avions, autrefois, vu partir les premiers « suissards. » Ne leur laissons pas croire que nous puissions les oublier, après avoir souffert et résisté ensemble…

Nous avons été fouillés minutieusement. Pour ne pas laisser entre les mains boches mille souvenirs où s’attachait notre vie de prisonniers, nous avons dû brûler nos photos et nos lettres… Cette cendre qui s’éparpille et s’envole emporte tout un lambeau de notre passé, que la haine seule fera revivre plus tard dans nos cœurs.

Voyage fiévreux, trépidant… Les paysages, les gens entrevus, rien ne compte plus : chacun reste en tête-à-tête avec son rêve, désir et crainte… Le lac de Constance rien… À quand la visite ? Une salle… Notre avenir, notre vie même va se jouer là… De quel regard nous suivons, à peine aperçus, les hommes de qui notre sort va dépendre, qui, d’un seul mot, vont nous sauver des enfers d’Allemagne ou nous y rejeter !…

La visite est passée ; beaucoup d’entre nous ont leur dossier de maladie ; mais la décision des médecins n’est pas encore connue. Il faut attendre à demain… Encore vingt-quatre heures d’une incertitude qui nous met au supplice… Maintenant, il nous semble que, jusqu’à présent, jamais minutes dans notre vie n’ont été si angoissantes, si tragiques… Les visages des docteurs