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sont restés impénétrables. On perd espoir, ou bien on s’illusionne... Ah ! cette attente !

Les noms... enfin ! Les malheureux qui sont refusés se retirent dans un coin... consternés, farouches… Les élus ne peuvent s’habituer brusquement à la nouvelle idée : partir, plus de barbelés, plus de poteau, plus de sentinelles, vivre... Est-ce vrai ? Est-ce seulement possible ?

Dans quatre heures, nous partons... On nous embarque dans un train suisse qui nous attendait en gare... Un contre-ordre ne va-t-il pas arriver au dernier moment ?... Mais le train démarre, il roule : chaque tour de roue nous rapproche du but convoité. C’est fini ! Nous quittons l’Allemagne ! Nous ne la verrons plus... que dans nos cauchemars, dans les heures de fièvre qui ramèneront la hantise des souffrances endurées, de l’impitoyable esclavage...

14 juin. — Nous avons franchi la frontière, nous sommes en Suisse !... Nos couleurs !... Résurrection et liberté !... Impressions inouïes !... Les populations nous attendent tout le long de la voie, nous acclament en brandissant le drapeau tricolore ; à notre arrivée, la Marseillaise éclate... Un immense frisson nous secoue, soulève nos âmes tandis que partout sur notre passage retentit et se prolonge le cri sacré : « Vive la France ! » La joie, l’émotion, inondent nos cœurs : à peine pouvons-nous répondre à tous ces vivats. Entassés aux portières, haletans, les yeux piqués de larmes, nous regardons, nous rions, nous pleurons... Ainsi l’étape bienheureuse se continue... Partout, des fleurs, des paroles, des attentions charmantes. Toutes les formes de la bienvenue nous sont prodiguées... L’accueil est si spontané, si cordial, si ému, si émouvant, que, chaque fois, notre cœur se dilate dans un sentiment de douceur que nous ne connaissions plus...

Pourtant, on hésite encore à traverser une rue, à ouvrir une porte, à se mouvoir : à chaque pas, à chaque geste, l’œil toujours aux aguets, on se retourne, par méfiance perpétuelle du coup de crosse... ; Trop longtemps nous avons été des esclaves : l’ombre est restée sur nous du garde-chiourme allemand.


X…