Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 44.djvu/452

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et la cuirasse persistent un peu plus, surtout parce que la découverte vers 1660 de la baïonnette est venue donner un renouveau à l’emploi des armes blanches. Pourtant le casque disparaît sous Louis XIII, la cuirasse à son tour sous Louis XIV, sauf pourtant pour les « ingénieurs » (officiers du génie), qui dans la tranchée porteront jusqu’au siège de Sébastopol la cuirasse et le pot en tête. — L’époque de Louis XV vit un timide essai de rénovation du casque avec les dragons, la fin de la Révolution remit en honneur la cuirasse et le casque avec ses cuirassiers, mais c’étaient là plutôt des objets d’apparat que de protection réelle. En tout cas, la seule protection qu’on cherche à assurer ainsi était contre les coups de sabre et de baïonnette. On finit d’ailleurs par préférer, contre ces atteintes d’arme blanche, la protection d’épaisses couches de tissus amortisseurs à celle des plaques métalliques : de là sont nés l’épaulette, la crinière, le shako, le bonnet à poil.

En résumé deux causes ont produit l’évolution régressive qui à partir du XVIe siècle ont amené peu à peu la disparation de l’armement défensif : d’une part l’apparition des armes à feu a substitué au combat rapproché le combat à distance, si bien qu’on a cherché la protection dans le mouvement, l’invisibilité, l’abri, plutôt que dans la cuirasse ; d’autre part et surtout, toutes les armures anciennes, en dépit de leur poids déjà si gênant, se sont trouvées inefficaces, perforées comme verre par les balles à grande vitesse et les boulets.


Tel était l’état de la question lorsque éclata la guerre actuelle. A ce moment, un certain nombre d’axiomes considérés dans beaucoup d’états-majors comme des vérités premières incontestables réglaient les conceptions régnantes, ou du moins orthodoxes et officielles. On était convaincu d’abord que les balles du fusil seraient les projectiles essentiels dans la bataille. Or ceci étant posé, il était évidemment inutile de chercher à les arrêter. On peut calculer en effet, — et on avait fait ce calcul, — que pour résister à toute distance à la balle S allemande tirée directement (et les chiffres sont analogues pour les balles des autres belligérans), il faut une épaisseur d’acier spécial de blindage d’environ huit millimètres. L’ennemi, comme ses adversaires, a d’ailleurs construit et utilisé récemment des balles perforantes spéciales, dites SMK, et qui, tirées à 50 mètres sous l’incidence normale, traverseraient tout blindage ayant moins de 14 millimètres d’épaisseur. Mais bornons-nous à considérer la balle S ordinaire, qui reste le