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ceci encore : « La plus grande musique est toujours simple ; les plus grands rites sont toujours modérés. » C’est pourquoi « la perfection de la musique n’est pas de pousser les notes à bout [1]. » Après et comme le musicien du Voile du bonheur, celui de Ping-Sin a fait preuve de réserve et de retenue. Il n’a point poussé les notes à bout. Il n’a pris, nulle part, aucune licence. Par là sa musique, elle aussi, étrangère, ainsi que l’autre, à la pratique et à la lettre de l’art chinois, en a, probablement sans le savoir, observé l’esprit, ou le tempérament. Il faut lui tenir compte de cette observance.

Ce n’est pas tout à fait par la tenue, ou la retenue, que se recommande l’allégorie patriotique, ballet ou pantomime nationale, avec orchestre et chœurs, de MM. Guillot de Saix et Francis Casadesus. En trois tableaux, le premier aimable, le second terrible, et le dernier triomphal, nous voyons se succéder l’avant-guerre, la guerre et l’après-guerre « au beau jardin de France. » Les Françaises qui le peuplent et l’animent se divisent en deux catégories. Les unes sont vêtues, ou ceintes seulement, de feuillage : voilà pour la flore. D’autres (c’est la faune) portent des peaux, ou demi-peaux, de panthère et de léopard. Celles-là font des groupes, et celles-ci des cabrioles. Soudain, sur le jardin botanique et zoologique, des Plantes et d’Acclimatation tout ensemble, se déchaîne la guerre et toutes ses horreurs. Scènes de massacre, de mort et de deuil. Le sol est couvert de cadavres, l’air retentit de gémissemens. Tout semble perdu, mais voici que tout est sauvé. Le fond de la scène s’éclaire. Paraît une belle dame (la Victoire, ou la Paix, ou toutes les deux à la fois), à la robe d’or, aux cheveux d’or et portant des rameaux d’or. Sur son passage, tout le monde ressuscite, se relève et se. remet en branle. Galop final, illumination des bosquets, apothéose.

Il y eut aussi de la musique en cette affaire : musique instrumentale, exécutée, suivant l’usage, à l’orchestre, et musique vocale, chantée non pas sur la scène, mais dans la salle, contre l’ordinaire. C’est ainsi qu’on put voir, entendre de jeunes personnes en « costume de ville, » accompagner de la voix les poses et les ébats d’autres jeunes personnes à peu près sans costume. Et le déplacement du personnel chantant parut à quelques-uns le premier signe d’un art vraiment libre, audacieux et nouveau. Dans l’ordre de la pure musique et de l’harmonie en particulier, d’autres symptômes se manifestèrent : le plus frappant nous parut la prédilection du musicien

  1. La musique chinoise, par M. Louis Laloy. Collection des Musiciens célèbres, Henri Laurens, éditeur.