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est de même. Dans les villes et bourgades de quelque importance, l’instruction est gratuite ; à la campagne, où les ressources sont moindres, si quelque libéralité privée n’assure pas le traitement et le logis au magister, traitement fixé à 150 livres par la déclaration de 1698, l’élève paie mensuellement de trois à quatre sols pour apprendre à lire ; mais la paroisse doit prendre à sa charge les cotisations défaillantes. Et, dans tout le pays, sont répandues des institutions religieuses où les pauvres trouvent à s’instruire sans rétribution aucune : les Ursulines ont plus de 300 maisons ; les sœurs de la Charité en possèdent 500 ; les frères de la Doctrine chrétienne élèvent plus de 30 000 enfans[1] ; les Béates ont institué une sorte d’école normale : « elles forment des maîtresses d’école pour envoyer dans les paroisses… et surveiller les maîtresses qu’elles ont instruites[2]. » Au reste, encore une fois, l’obligation est de règle et, aux termes de la déclaration de 1724, « il est ordonné aux procureurs fiscaux de remettre tous les trois mois la liste des enfans qui n’iraient pas aux écoles, afin de faire poursuivre les parens, tuteurs et curateurs chargés de leur éducation. »

Comme il fut de mode, à diverses époques de notre histoire contemporaine, d’imposer au peuple la croyance que la France d’avant 1789 formait une peuplade barbare, durement contrainte par ses tyrans à végéter dans l’ignorance et la privation de toute « lumière, » il est de règle d’attribuer à la Révolution tout l’honneur de la libération intellectuelle du pays. Nous l’avons souvent entendue, la prosopopée exaltant l’œuvre régénératrice de la Convention créant partout des écoles, réalisant des prodiges « pour réparer les ruines que l’anarchie avait faites ou pour combler les lacunes que l’ancien régime avait patiemment souffertes[3]. » Avant elle, rien que les ténèbres ; ceci a été si opiniâtrement répété que c’est devenu, pour la grande majorité des gens, un article de foi politique. On nous donne à croire que, avant cette aurore de la Raison, — « l’indifférence était générale en France pour l’instruction élémentaire ; » — que « les écoles étaient peu nombreuses et peu suivies ; » — les rares « maîtres laïques avilis par leur situation inférieure et bien moins éducateurs que sacristains, chantres,

  1. Victor Pierre, l’École sous la Révolution.
  2. Babeau, l’École de village pendant la Révolution, p. 28.
  3. Gabriel Compayré, histoire de la Pédagogie, p. 344.