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plusieurs heures[1]. » Après la Terreur, le conseil général d’Arras donne l’ordre à ses agens de retirer des mains des enfans « les petites guillotines de deux pieds de hauteur dont ceux-ci se servent pour couper la tête à des oiseaux ou à des souris[2]… »

Le rêve de Bouquier est accompli : l’enfant est mêlé, dès son jeune âge, à la vie politique du pays : point de distribution de prix où l’on n’accable les pauvres petits du tableau oratoire des « quatorze cents ans de servitude et de dégradation, » leur inspirant témérairement et le mépris des ancêtres et d’exigeans appétits que l’ère nouvelle ne satisfera pas. Sur ce point, ils sont, d’ailleurs, bientôt déçus : des fêtes décadaires ont été instituées pour développer chez tous les citoyens, et particulièrement dans la jeunesse, l’amour de la vie sociale, le respect de la terre nourricière et « l’attachement à la Constitution, à la patrie et aux lois. » En ces fêtes célébrées dans toutes les communes de France, le premier magistrat de la localité doit, par exemple, tracer un sillon, au moyen d’une charrue, et prononcer un discours. Mais l’enthousiasme, la curiosité même font bien vite défaut. Les quelques récits qui nous sont restés de ces fêtes décadaires sont navrans, en dépit de l’officielle hâblerie des narrateurs. Il advient même que le maire se trouve seul au champ désigné et se dispense de creuser le sillon prescrit. À Ablis, en Seine-et-Oise, au mois de fructidor de l’an V, le citoyen commissaire est obligé d’avouer que « les fêtes se font avec une insouciance marquée. » — « Celle des vieillards, hier, était une espèce de dérision, malgré le beau temps… Le président, un agent et moi, accompagnés de six gendarmes, avons fait le tour de l’arbre de la liberté, sans dire un mot, et sommes rentrés ; ce fut la fête[3] ! » Beaucoup, après avoir patiemment attendu la prospérité promise, estiment qu’elle tarde à poindre. Ils sont soûls de discours et de harangues prétendues patriotiques : ils regrettent pour leurs enfans autant que pour eux-mêmes, les traditionnelles fêtes d’autrefois, les chants naïfs des nuits de Noël, les rogations parmi les vergers en bourgeons, les processions sous le soleil de juin et l’autel

  1. Notice historique sur le comte Lanjuinais, par M. Victor Lanjuinais, ancien ministre, cité par Biré, Journal d’un bourgeois de Paris.
  2. J.-A. Paris, Histoire de Joseph Le Bon.
  3. É. Tambour, Études sur la Révolution dans le département de Seine-et-Oise.