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comme un alambic, toute la liqueur du fruit défendu. Ceux qui ne le lurent pas alors crurent n’en rien savoir. Pauvres créatures ! L’explosion les emporta comme des grains de poussière dans l’abîme du doute universel. »

La « maison nouvelle, » élevée sur un ordre de Napoléon, était somptueuse, mais, sans doute, mal accommodée à nos habitudes ; les enfans ne s’y plaisaient pas : ils regrettaient l’autre, l’ancienne, d’après son simple et vieux renom. Pour quitter la métaphore, les lycées de l’Université, dans les dernières années de l’Empire et les premières de la Restauration, ne trouvèrent ni chez les parens, ni dans la jeunesse, le succès qu’aurait mérité leur personnel enseignant. La transition était trop brusque entre l’indépendance de jadis et la discipline adoptée. Miracle de la tradition ! Ces enfans, qui n’avaient point connu les collèges de l’ancien régime où la personnalité de chacun était respectée et développée, n’arrivaient pas à se plier au règlement égalitaire qui courbait toutes les individualités sous le même niveau. On se montrait injuste pour la récente institution : Chateaubriand s’indignait du roulement de tambour signalant le commencement ou la fin des classes, le réveil et le coucher. Il exagère, je pense, lorsqu’il dit « qu’on vit des mères accourir des extrémités de l’empire et réclamer, en fondant en larmes, les fils que le gouvernement leur avait enlevés. » Joseph de Maistre se contentait de soupirer en considérant l’Alma parens sortant des mains de son créateur : « C’est un beau corps ; l’âme viendra quand elle pourra[1] ! » Bon nombre de pères de famille cherchaient à épargner à leurs enfans l’incarcération redoutée dans ces lycées de terreur, installés, pour la plupart, dans de vieux couvens sinistres, aux murs lépreux, aux voûtes basses, aux cours sans soleil et sans verdure. Le départ d’un enfant pour le lycée était pleuré par les mères autant que, naguère, le départ pour le régiment : c’était, dans les familles, l’occasion de déchirantes scènes de désolation.

Le comte d’Haussonville, dans le délicieux récit, malheureusement inachevé, que son fils a publié[2], rapporte comment, en 1827, élevé jusqu’alors dans sa famille et ayant « tué sous lui » deux précepteurs, il fut mis au collège après de

  1. Gabriel Compayré, histoire de la Pédagogie. La théorie et la pratique de l’éducation, p. 432.
  2. Ma jeunesse, Souvenirs, par le comte d’Haussonville, de l’Académie française.